Berthold ALTANER, Précis de Patrologie. Tr. Marcel GRANDCLUDON (1941) pp. 126-138


§ 30. TERTULLIEN (+ après 220).

Quintus Septimius Florens Tertullien, fils d'un centurion romain païen, naquit à Carthage vers 160. Il reçut une formation foncièrement scientifique, surtout juridique et apprit le métier de rhéteur (Eusèbe, Hist., 2, 2, 4). Il connaissait aussi parfaitement la langue grecque. Très vraisemblablement il doit être identifié avec le juriste du même nom cité dans les Pandectes. Vers 195 il revint de Rome où il était avocat dans sa ville natale, converti au christianisme, après avoir, comme il le rapporte lui-même (Res. carn. 59) vidé jusqu'à la lie la coupe des plaisirs. Bientôt il commença une activité littéraire intense au service de l'Eglise. S. Jérôme affirme (Vir. Ill., 53) qu'il était prêtre, mais c'est très invraisemblable. En 207 au plus tard, il consomma sa rupture avec l'Eglise. Son esprit sévère et dur, ennemi de tout compromis, le |127 conduisit à la secte des montanistes où il devint bientôt le chef d'un parti à lui, les Tertullianistes. Il mourut très âgé, après 220, à Carthage.

Tertullien est un des plus originaux et, mis à part S. Augustin, le plus personnel de tous les écrivains ecclésiastiques latins. En lui l'ardeur punique se mêlait à l'esprit pratique romain. Enflammé d'un zèle religieux, il possédait une intelligence pénétrante, une éloquence entraînante, un esprit aux reparties promptes et des connaissances extraordinaires dans tous les domaines. En outre il possédait comme pas un la langue latine et savait lui donner de nouvelles formes. Ses œuvres ont exercé, après la Vulgate, la plus grande influence sur le latin chrétien ancien. Il écrit dans un style concis, nerveux, mais fréquemment aussi obscur; S. Vincent de Lérins dit de lui avec raison : Quot paene verba, tot sententiae (c. 18). Mais quand il ajoute : Quot sensus, tot victoriae, il se trompe; car la dialectique de Tertullien éblouit plus qu'elle ne persuade et cela vient de sa personnalité. Il avait une nature exaltée, portée aux extrêmes et lui-même dut avouer un jour que la vertu, à l'éloge de laquelle il composa un ouvrage spécial (Pat 1) lui manquait totalement. Dans sa rhétorique entrent en jeu la colère pathétique, la verve ironique et la volubilité de l'avocat. Dans la lutte aucune considération ne l'arrête, tous ses ouvrages sont des écrits de polémique. La même amertume qui lui faisait stigmatiser, comme catholique, l'attitude des gouverneurs païens et ridiculiser la religion païenne, lui fit combattre plus tard, comme montanistè, le prétendu laxisme de l'Église catholique et osa même suspecter les cérémonies des agapes par des allusions obscures (Jejun., 17). A cause de sa langue difficile à comprendre, mais plus encore à cause de son passage au montanisme, on ne le lut plus bientôt ou du moins, comme déjà chez S. Cyprien, on ne le nomma plus.

Il est presque impossible de classer chronologiquement les œuvres de Tertullien; on peut habituellement déterminer avec certitude si elles appartiennent à la période catholique ou montanistè de l'auteur. Les renvois fréquents des ouvrages, les uns aux autres, et des raisons internes permettent d'établir l'ordre chronologique relatif de nombreux ouvrages. La tradition du texte aussi est très défectueuse. Un certain nombre d'écrits ont été perdus; pour d'autres (Pud, Jejun.) nous n'avons plus |128 les manuscrits sur lesquels ont été imprimées les plus anciennes éditions; d'autres encore n'existent plus que dans le seul Codex Agobardinus (à Paris) qui provient d'Agobard, archevêque de Lyon. Pour l'Apologeticum seul il existe de nombreux manuscrits. 31 ouvrages en tout ont été conservés. Tertullien a été l'écrivain latin le plus fécond de la période préconstantinienne.

Éditions générales : ML 1-2. Oehler, 1-3, 1851/54. Dans le CSEL jusqu'ici deux volumes de parus : 20, 1890 par Reifferscheid et Wissowa et 47, 1906 par Kroymann. ---- Traductions : allemande de Kellner 2 vol. 1882 et de Kellner et Esser (BKV2 7 et 24), 1912/15, française par De Genoude 3 vol. 1852; néerlandaise de Meyboom, Leyde 1931. ---- Monographies : Monceaux, Hist. litt, de l'Afrique chrétienne, I, 1901. Schulte, Het heidendom bij Tertullian, Nijkerk 1922. Ramorino, Mi 1923. Koch, PWK 115, 822/44. ---- Études spéciales : Esser, Die Seelenlehre T 1893. Hoppe, Syntax und Stil des T 1903. D'Alès, La théologie de Tertullien, 1905; Tertullianea, RSR 1936/37. K. Adam, Der Kirchenbegriff T', Pa 1907. Waltzing, La langue de Tertullien, Musée Belge, 1920, 44 sqq. De Labriolle, La crise montaniste, 1913, 291 sqq. Guilloux, RHE 1923, 5 sqq, 141 sqq. Roberts, The Theology of Tertullian, Lo 1924. Vitton, I concetti giuridici nelle opère di T. 1924. Beck, Römisches Recht bei T. und Cyprian, 1930. Lortz, Tertullian als Apologet, 2 vol., Mr 1927/28. Berton, Tertullien le Schismatique, 1928. Morgan, The importance of Tertullian in the development of Christian dogma, 1928. Bayard Tertullien et Cyprien, 1930. Warfield, Studies in Tertullian and Augustine, O 1930 (doctrine trinitaire). Favre, BLE 1936, 130 sqq (la communication des idiomes). Rivière, RveSR 1926, 199 (Tertullien et les droits du démon). Galtier, RHE 1928, 41 sqq (Tertullien et Calliste). Amann, RSR 1921, 208 sqq (L'ange du baptême dans T.). Koch, ThSK 1931, 108/14 (T. n'était pas prêtre). Schummer, Die altchristliche Fastenpraxis mit besonderer Berücksichtigung der Schriften Tertullians, Mr 1933; cf. RHE 1934, 370 sqq. Castiglioni, StU 255/61 (critique du texte). Aalders, Mn 1937, 241/82 (citations de S. Luc).

I. Ecrits apologétiques.

1. Ad nationes, 2 Livres (197) défense contre les attaques des païens et attaque du paganisme sur le point de se dissoudre moralement et religieusement (EH 186 sqq).

2. L'Apologeticum (fin de 197) est adressé aux gouverneurs de provinces de l'empire romain. A la différence de toutes les autres apologies anciennes, elle envisage presque exclusivement les accusations politiques portées contre les chrétiens, |129 notamment le mépris des dieux de l'état et le crime de lèse-majesté et fait passer l'apologétique du terrain philosophique sur le terrain juridique (EH 164/75; EP 274/85).

Avec une grande habileté il blâme la procédure contre les chrétiens préférée par la puissance païenne : le seul crime qui les fasse condamner est le «nomen christianum». A tous les autres criminels il est permis de se défendre, mais pas aux chrétiens; aux autres la torture doit arracher un aveu, aux chrétiens un reniement. Il réfute les accusations lancées communément contre les chrétiens et expose l'essentiel sur la foi chrétienne et la vie des communautés chrétiennes. Le christianisme, est-il dit en forme de conclusion, est une philosophie, mais on ne force pas les philosophes païens à sacrifier, ils peuvent même impunément nier les dieux. Pourtant les cruautés païennes ne nuisent pas aux chrétiens, au contraire : «Plures efficimur, quotiens metimur a vobis, semen est sanguis christianorum» (50).

Le texte de l'Apologeticum est très discuté. L'ouvrage est conservé dans le manuscrit aujourd'hui perdu du Codex Fuldensis sous une forme très différente de la recension habituelle («Vulgate», environ 30 manuscrits). L'opinion plusieurs fois soutenue (Schrörs, Thoernell) qu'il s'agit de deux éditions différentes faites par Tertullien lui-même pourrait être considérée aujourd'hui comme périmée. Les deux recensions, comme le prouvent des fautes communes, remontent à un seul et même archétype qui, de très bonne heure, à la suite de l'intervention de copistes maladroits, s'est séparé en deux branches. Le texte original est moins déformé dans le Codex Fuldensis que dans la Vulgate (Waltzing, Martin).

3. Le De testimonio animae développe une phrase de l'Apologeticum (17) : «O testimonium animae naturaliter christianae» (EP 286). Les païens montrent par leurs exclamations spontanées qu'au fond de leur âme ils croient à l'unité de Dieu, à la survie de l'âme et à l'existence de mauvais esprits, par exemple, quand ils disent : Dieu le voit, ou bien : Puisse le défunt reposer doucement.

4. Ad Scapulam (212) est une lettre ouverte qui menace du jugement de Dieu Scapula, proconsul d'Afrique, ennemi féroce des chrétiens, à l'occasion d'une éclipse de soleil (EH 217; EP 369).

5. Adversus Judaeos (EH 207). L'ancienne Loi de vengeance |130 doit céder la place à la Loi nouvelle de l'amour. Les païens aussi ont part à la grâce divine (1-8). La 2e partie (9-14) n'est pas authentique, c'est un extrait du 3e Livre de l'ouvrage «Adversus Marcionem».

Éditions partielles : Ad nationes : Borleffs, Ley 1929; cf. BFC 37, 1930/31, 43/46. Apologeticum Mayor and Souter, C 1917 (avec trad. angl. Waltzing, 1931 (avec commentaire). Martin 1933 (FIP 6); cf. PhWo 1935, 740/51. De testimonio animae; Scholte, Am 1934 (avec trad. néerland.); cf. PhWo 1935, 1143/51. Ad Scapulam : Bindley, O 1894. Meyboom, Ley 1930 (avec trad. néerland.). Adversus Judaeos : Meyboom, Ley 1927 (trad. néerlandaise). Koch, ThSK 1929, 462/69. D'Alès, RSR 1936, 99 sqq.

II. Œuvres dogmatiques et polémiques.

6. De praescriptione haereticorum (vers 200). En langue juridique le terme praescriptio signifie exception, habituellement exception par prescription (longae possessionis ou longi temporis praescriptio). Tertullien montre dans cet écrit que non pas les hérétiques, mais seule l'Église catholique peut revendiquer pour elle la protection légale de prescription (EP 288/300; EH 188, 191/94).

a) Les apôtres ont confié la vérité révélée aux églises fondées par eux; celles-ci sont donc seules les vrais témoins de la vérité et il faut être d'accord avec elles dans la foi.

b) Ce qui existe dès l'origine dans le christianisme est la vérité; or la doctrine catholique est originale, tandis que chaque hérésie est une nouveauté.

c) L'Église seule est en possession de la Sainte Écriture, car elle l'a reçue des mains des apôtres. Les hérétiques n'ont donc pas le droit de juger du sens et de l'origine de la Sainte Écriture. Tertullien dit aussi expressément (14) que c'est la foi (d'après la tradition) et non pas l'étude de l'Ecriture qui produit le salut.

Le catalogue de 32 hérésies (C. 46-53) qui se trouve en appendice au traité De praescriptione est, selon E. Schwartz (BAS 1936, 3) un écrit grec, remanié dans un sens antiorigéniste et traduit par Victorin de Pettau, qui fut composé par le pape S. Zéphyrin ou l'un de ses clercs (cf. p. 000, n° 2).

7. Les 5 Livres Adversus Marcionem conservés |131 dans leur troisième remaniement; le 1er Livre parut en 207.

Les Livres 1 et 2 montrent que le Créateur du monde ne peut être distinct du Dieu bon, le Livre 3 montre que le Christ est le Messie prédit dans l'A. T. et non pas un éon supérieur dans un corps fantastique, les Livres 4 et 5 critiquent la Bible de Marcion et prouvent qu'il n'existe pas de contradictions entre l'Ancien et le Nouveau Testament (EP 331/45; EH 210; EA 64/66).

8. Adversus Hermogenem (EP 321/28), défense de la doctrine chrétienne de la création contre le peintre gnostique Hermogène de Carthage.

9. Adversus Valentinianos, contre le gnostique Valentin et ses adeptes; cet écrit utilise beaucoup S. Irénée (Haer., 1).

10. Scorpiace, «remède contre la piqûre du scorpion», l'hérésie gnostique défend la valeur morale du martyre (213).

11. De carne Christi (EP 253/59; EH 209) réfute le docétisme des gnostiques; on y rencontre (9) cette affirmation que le visage du Christ était laid (vers 210/12).

12. De resurrectione carnis (EP 360/65) défend la résurrection de la chair contre les gnostiques.

13. Adversus Praxeam, la plus claire exposition anténicéenne de la doctrine ecclésiastique sur la Sainte Trinité, dirigé contre le patripassien Praxéas; c'est ici (3) que se rencontre pour la première fois le mot trinitas.

14. De baptismo, exposé de la doctrine catholique du baptême, de sa nécessité et de ses effets, le baptême des hérétiques est invalide (15).

15. De anima (210/11), après l'Adversus Marcionem, l'ouvrage le plus étendu, est la première psychologie chrétienne; à sa base se trouve la «psychologie» du médecin Soranus d'Ëphèse.

Éditions partielles : De praescriptione, Preuschen, 1910. De Labriolle, 1907 (avec trad. française). Martin, (FIP 4) 1930. Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). Adversus Marcionem : Meyboom, Ley 1927 (trad. néerl.). Adversus Hermogenem, Ley 1930 (trad. néerl.). Adversus Valentinianos : Meyboom, Ley 1924, (trad. néerl.). Scorpiace : Meyboom, Ley 1930 (trad. néerl.). De resurrectione carnis : Lindner, Lo 1922. Souter, Lo 1922 (trad. anglaise). Adversus Praxeam : Kroymann, Tu 1907. Souter, Lo 1920 (trad. angl.). Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). De baptismo: Rauschen (FIP n) 1916. Borleffs, |132 Mn 1931, 1/102. D'Alès, R 1933 (ces deux auteurs ont utilisé pour la première fois le nouveau manuscrit de Troyes). Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.) De anima : Lindner, Lo 1922. Waszink (avec trad. allemande et commentaire), Am 1933. ----Études : Vellico, La rivelazione e le sue fonti nel de praescriptione di Tertulliano, R 1935. D'Alès, RSR 1935, 593 sqq (De praescriptione 9, 1). Koch, ThSK 1929 (Praescr. 36). Cumont, RHR 103, 1931, 31 sqq (Praescr. 40).----Bosshardt, Essai sur l'originalité et la probité de T. dans son traité Adversus Marcionem, Lausanne 1921. Neumann, ZkTh 1934, 311/63, 533/51 (problème du mal dans Adv. Marc. 2). D'Alès, RSR 1936, 99 sqq, 585 sqq (Adv. Marc. 3, 18; 4, 21). Colson, JTS 1924, 364 sqq (Adv. Marc. 4, 12). ---- D'Alès, RSR 1935, 496 (Adv. Valent. 12); 1937, 97/99, 228/31. ---- Bardy, RSR 1922, 361 (Adv. Praxeam). ----Dölger, AC 3, 216/19 (De baptismo 16, 2); 4, 138/46 (De bapt. 2, 1). Amann, RSR 1921, 208/21. D'Alès, RSR 1924, 392. Leeming, Gr 1933, 423/31 (De bapt. 2). ---- De Vries, Bijdrage tot de psychologie van Tertullian, Am 1929. Bickel, PhWo 1932, 961 sqq (De anima, 1). Krapp, ZntW 1934, 31/47 (Soranus, source du De anima).

III. Ouvrages de morale et d'ascétisme.

a) de la période catholique :

16. Ad martyres (EA 40) veut consoler et fortifier les chrétiens qui languissent dans les cachots (197 ou bien 202/203).

17. De spectaculis (197/200) interdit la fréquentation de tout genre de spectacles païens à cause de leur immoralité et de leurs étroites relations avec le culte des idoles.

18. De oratione (EA 44/48) donne des prescriptions relatives à la prière en commun et explique le Pater (198/200).

19. De patientia (EA 49/52). Tertullien veut parler de cette vertu qu'il ne possède pas, à la manière du malade qui fait l'éloge de la valeur de la santé; sa plus grande ennemie est la soif de vengeance (200/203).

20. De paenitentia (EH 199/203; EP 311/17) traite de l'esprit de pénitence, de la pratique de la pénitence avant le baptême (1/6) et de la pénitence ecclésiastique unique à laquelle doit se soumettre un baptisé après avoir commis un «péché grave» (7/12).

21. De cultn feminarum (2 Livres; EA 57/62) combat les diverses formes de la toilette féminine (197-201).

22. Ad uxorem (2 Livres; EH 204/06; EA 53/56) il demande à sa femme de rester veuve, s'il vient à mourir, ou de n'épouser qu'un chrétien (vers 203). |133 

b) de la période montaniste :

23. De exhortatione castitatis (EP 366; EA 68) exhorte un ami devenu veuf à ne pas contracter un second mariage qu'il désigne comme une «sorte de débauche» (9) (avant 207).

24. De monogamia (EP 380/82) sortie véhémente contre l'autorisation de contracter un second mariage (vers 217).

25. De virginibus velandis (EP 329) demande à toutes les jeunes filles de porter un voile, non seulement à l'église, mais aussi en public (avant 207).

26. De corona (211) rejette le couronnement des soldats comme quelque chose de spécifiquement païen et interdit le service militaire comme inconciliable avec la foi chrétienne.

27. De idololatria exige l'abstention la plus stricte du culte des idoles et de toutes les professions ayant quelque rapport avec lui (artistes, instituteurs, fonctionnaires, soldats).

28. De fuga in persecutione (EP 370). La fuite dans la persécution est interdite et va à l'encontre de la volonté de Dieu (vers 212).

29. De jejunio adver sus psychicos, défense de la pratique montaniste du jeûne avec de violentes attaques contre les psychiques (c'est-à-dire les catholiques) esclaves des plaisirs (16); important pour l'histoire de la pratique du jeûne.

30. De pudicitia (EP 383/87; EH 219/21) dénie à l'Église, contrairement à des affirmations antérieures (cf. n° 20) le droit de pardonner les péchés. Cette puissance appartient non pas à l' «Église épiscopale» juridiquement organisée, mais seulement aux «homines spirituales», les spirituels («apôtres et prophètes»). Le combat passionné de Tertullien est dirigé contre un edictum peremptorium d'un évêque (pontifex maximus quod est episcopus episcoporum) non désigné de façon plus précise, qui a déclaré : «Ego et moechiae et fornicationis delicta paenitentia functis dimitto» (1). L'opinion souvent soutenue qui voit ici le pape Calliste (217/22) doit être rejetée. On ne peut tirer du De pudicitia aucune preuve suffisante que Tertullien ait combattu un évêque vivant hors d'Afrique et de plus il y a, à la base du récit de S. Hippolyte (Philos., 9, 12) qui attaque Calliste et sa pratique «laxiste», une tout autre situation, que celle que l'on peut déduire du traité de Tertullien. Il se tourne manifestement contre l'évêque de Carthage, Agrippinus (S. Cyprien, Ép. 71, 4).

31. De pallio, le plus court de tous les ouvrages de Tertullien, est une défense personnelle; avec une ironie amère il légitime devant |134 ses concitoyens son abandon de la toge pour le manteau des philosophes (vers 210). Sur la Passio Sanctorum Perpetuae et Felicitatis, cf. § 45, n° 8.

32. Œuvres perdues et non authentiques. Dans la série respectable des œuvres perdues, il faut surtout mentionner les sept livres De exstasi, défense des discours extatiques des prophètes montanistes. Dans la Quaestio 115 de l'ouvrage «Quaestiones Veteris et Novi Testamenti» qui appartient à l'Ambrosiaster (318/49, édit. Souter 1908) l'ouvrage De fato a peut-être été utilisé. Le traité De exsecrandis gentium diis n'est pas authentique.

Éditions partielles : Ad martyres : Bindley, O 1894. Meyboom, Ley 1930 (trad. néerland.). De spectaculis : Boulenger, P 1933; cf. PhWo 1934, 377/84. Büchner 1935 (avec commentaire). De Labriolle, I (trad.), II (commentaire), 1936. Meyboom, Ley (trad. néerl.). De oratione : Muncey, Lo 1926. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De patientia : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De paenitentia et De pudicitia : De Labriolle P 1906 (avec traduct.). Rauschen, (FIP 10) 1915. De cultu feminarum : Marra, Tu 1930, cf. PhWo 1934, 489/92. Kok, Diss. A 1934 (avec traduct. et comment.; cf. PhWo 1934, 1000/03. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). Ad uxorem:Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De exhortatione castitatis : Meyboom, Ley 1931. De monogamia : Meyboom, Ley 1919/30 (trad. néerland.). De virginibus velandis : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De corona : Marra, Ti 1927; cf. Gn 1933, 321/26. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerland.). De idololatria : Meyboom, Ley 1930 (trad. néerl.). De fuga in persecutione : Marra, Tu 1932. Meyboom, Ley 1932 (trad. néerl.). De jejunio adversus psychicos : Meyboom, Ley 1931 (trad. néerl.). Depallio : Marra, Tu 1932. Meyboom, Ley 1931 (trad. néerl.). ---- Études de détail : De spectaculis : Köhne, Tertullians Schrift : «Über die Schauspiele in kultur ---- und religionsgeschichtl. Beleuchtung, Diss Br 1929. De oratione : Dölger, AC 5, 116/37. De paenitentia : Chartier, L'excommunication ecclésiastique d'après les écrits de Tertullien, Ant 1935, 301 sqq, 499 sqq. De cultu feminarum : Koch, ThSK 1929, 469/71. Ad uxorem : Cortelezzi, Did 1923, 2, 57/79; 3, 43/106. De monogamia : Delzer, Ant 1932, 441 sqq. De corona : Vacandard, La question du service militaire chez les chrétiens des premiers siècles, 1910, 127 sqq. Franchi de' Cavalieri, ST 65, 1935, 357/86. De idololatria : Dölger, AC 3, 192/203. De jejunio : Schummer, Die altchristliche Fastenpraxis, Mr 1933. De pudicitia : D'Alès, L'Ëdit de Calliste, 1914. Adam, Das sog. Bussedikt des Papstes Kallistus, M 1917. D'Alès, RSR 1920, 254/57; 1936, 366 sqq; 1937, 230 sqq. Bardy, RSR 1924, 1/25. Galtier, RHE 1927, 465/88; 1928, 41/51. Pour Calliste comme adversaire de Tertullien dans le De Pudicitia : Köhler, ZntW 1932, 60/67; Koch, Cathedra Pétri, 1930 |135 5/32; ZntW 1932, 68/72; 1934, 317 sqq; Hoh 1932, 46 sqq.. Pour Agrippinus : Ehrard 1932, 361/63; Poschmann, Ecclesia principalis, 1933, 10 sqq; Van den Eynde 1933, 206 (cf. p. 31). Ne se décident pas Göller, RQ 39, 1931, 77 sqq. et Dölger, AC 3, 140 A. 20, 147 sqq. Stoeckius, AKK 1937, 24/121 («ecclesia Pétri propinqua»). De fato : Koch, ThSK 1929, 458/62.

Doctrine de Tertullien.

1) Devant les résultats contradictoires des philosophes païens, Tertullien reste sceptique à l'égard de la philosophie, sinon même tout à fait son adversaire, mais il demeure ami des efforts de la raison aux procédés sommaires et naïfs. Il approuve la philosophie, en tant qu'elle est d'accord avec la vérité chrétienne (Idolol., i; Credo, ut intelligam). Il affirme nettement (Resurr., 3) que l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme peuvent être connues par la raison, et aussi que l'éternité de Dieu découle de son absolue perfection : «Imperfectum non potest esse, nisi quod factum est» (Adv. Hermog., 28).

2) Tout ce qui existe est un «corpus», bien qu'un «corpus sui generis» (Carn., 11) et c'est pourquoi Dieu aussi est un «corpus etsi spiritus est» (Adv. Prax., 7). Que «corpus» signifie ici substance, que Tertullien attribue donc à Dieu la substan-tialité, n'est pas exclu, mais ensuite il attribue à la substance spirituelle des qualités que possède aussi le corps; car il dit de l'âme qu'elle a un «corpus» ou «corporalitas», mais aussi origine et couleur, la couleur de l'air lumineux (An., 7; 9; EP 346). Cf. S. Justin, p. 99 et No 6.

3) La doctrine trinitaire (EP 371/79) de Tertullien trouve dans l'Adversus Praxeam une formule expressive surprenante pour son temps : «Connexus Patris in Filio et Filii in Paracleto tres efficit cohaerentes, alterum ex altero. Qui tres unum sunt, non unus» (25); «tres unius substantiae et unius status et unius potestatis» (2). Cf. De Pudic., 21 : «Trinitas unius Divinitatis, Pater et Filius et Spiritus Sanctus». Le terme technique persona se trouve pour la première fois dans ses écrits : «Alium... personae, non substantiae nomine, ad distinctionem, non ad divisionem» (Adv. Prax., 12). Le Logos était déjà avant la création du monde une «res et persona», et cela «per substantiae proprietatem», mais c'est seulement à la création du monde que sa sortie du Père devint une «nativitas perfecta» (Adv. |136 Prax., 7) et que la «Sagesse» devint «Fils». Le Fils, comme tel, n'est donc pas éternel (Adv. Herrn., 3; EP 321); sa «diversitas» du Père est sans doute niée (Adv. Prax., 9), mais il est cependant différent de lui «gradu». Le Père a la plénitude de la divinité (tota substantia est), le Fils n'en a qu'une partie (derivatio totius et portio) et c'est pourquoi il dit aussi : Le Père est plus grand que moi (9). Le Fils sort du Père, comme le rayon du soleil (13).

4) Tertullien affirme sans équivoque la dualité des natures en la seule personne du Christ, il a été dans cette doctrine un précurseur pour l'Occident. Nous trouvons chez lui les expressions : «proprietas utriusque substantiae» (in una persona), «duplicem statum, non confusum sed conjunctum in una persona, Deum et hominem Jesum» (Adv. Prax., 27; EP 379). Les miracles de Jésus montrent la réalité de sa divinité, les sentiments et les souffrances, la réalité de son humanité (Carn., 5; EP 353).

5) Tertullien se déclare contre la virginité de Marie in partu (Carn., 23; EP 359) que nous rencontrons dans la tradition tout d'abord dans l'évangile apocryphe de Jacques et dans les Odes de Salomon (cf. p. 51).

6) L'âme de l'enfant est un rameau (tradux, traducianismé) de l'âme de son père, ainsi s'explique la similitude des états d'âme entre les parents et l'enfant (An., 36, 37) cf. plus haut, n° 2).

7) Le péché originel est déclaré (De anima 41) un «vitium originis» : par le péché d'Adam a pénétré dans la nature humaine le poison des mauvais instincts, le «vitium originis» qui est devenu, par le démon, un «naturale quodammodo». Le baptême des enfants n'est cependant à conseiller qu'en cas de nécessité (De bapt., 18).

8) Le concept d'Église dans De exhortatione, De Fuga 14 et De Pudicitia 21, 17 est purement montaniste : «Ubi tres, ecclesia est, licet laici» (EP 366).

9) La primauté et la puissance de lier et de délier sont personnelles à S. Pierre, selon De Pudic., 21, 9/11 et n'ont pas été données à d'autres évêques. S. Pierre et S. Paul sont morts à Rome (Scorpiace 15; Adv. Marc., 4, 5; EH 215; EP 341). Sur le terme de «pontifex maximus» voir p. 133. |137 

10. La pénitence. Dans son traité montaniste De pudicitia, Tertullien nie la possibilité pour l'Église de remettre les «péchés graves». La puissance de pardonner du Christ était purement personnelle et n'a pas passé intégralement à l'Église (De Pud., 11). Le pouvoir de pardonner les péchés n'appartient qu'au «spiritalis homo», non pas au ministère episcopal; les Pneumatiques sont les organes du Saint-Esprit (De pudic 21; EP 387). Par contre dans son ouvrage catholique antérieur De paenitentia, il invite de façon pressante tous les pécheurs à la pénitence ecclésiastique unique et non renouvenable. Il faut répondre affirmativement à la question si, dans cet ouvrage, il fait entrevoir à tous une réconciliation ecclésiastique; cfr. «an melius est damnatum latere quam palam absolvi ?» (10). Tertullien traite en détail dans le De paenitentia (9-10) de la confession publique (exomologesis).

11. Tertullien appelle le culte divin eucharistique «gloriae relatio et benedictio et laus et hymni» et y voit la réalisation de la prophétie de Malachie i, 10 (Adv. Marc., 3, 22; Adv. Judaeos 5). Dans d'autres passages il parle des «orationes sacrificiorum», des «munditiae sacrificiorum»; celui qui y assiste reçoit «le corps du Seigneur», «le sacrement de l'Eucharistie» (De oratione, 19; Adv. Marc., 3, 22; De pudic., 9, 16; De corona, 3). Pour le pain consacré on trouve (Adv. Marc., 4, 40) l'expression «figura corporis mei», qui veut dire : le corps sous le symbole du pain. La réalité du corps ainsi reçu est si certaine pour lui qu'il veut démontrer par elle, contre Marcion, la réalité du corps crucifié (3, 19; EP 337). «Caro corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima de Deo saginetur» (De resurrectione 8).

12. Tertullien connaît un état d'expiation après la mort. Sauf les martyrs, les défunts demeurent jusqu'au jour du Seigneur dans les limbes et y subissent des supplicia dont les prières des vivants les font sortir pour entrer dans le refrigerium (De anima 55, 58; De resurrectione 43; De monogamia 10; EP 352, 382). Tertullien était millénariste (Adv. Marc., 3, 24; De spectaculis 30).

Études : Rivière, 1931, 146/64. Koch, ThSK 1932, 127/59; 1933, 39/50. Mersch 2, 1933, 11/15. Rahner, ZkTh 1936, 491/507. Sur la pénitence voir Cavallera, BLE 1929, 19/36, 1930, 49/63. Hoh, 1932, |138 43/58. Göller, RQ 39, 1931, 77/85. Ehrhard, 1932, 359/67. Koch, ThSK 1931, 95/108. : Altendorff, 1932 (cf. p. ooo) 11/43. Köhne, Die Ehen zwischen Christen und Heiden in den ersten christl. Jahrh. 1931. Dölger, AC 5, 262/71. Favre, BLE 1936, 130 sqq.


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