Previous PageTable Of ContentsNext Page


|1

TERTULLIEN

CONTRE LES JUIFS.

[Traduit par E.-A. de Genoude]

I. Il arriva dernièrement qu'une dispute s'éleva entre un Chrétien et un prosélyte juif. La discussion se prolongea de part et d'autre jusqu'au soir, sans qu'ils eussent rien avancé. D'ailleurs le bruit de quelques auditeurs causait un tel trouble que la vérité demeura comme enveloppée d'un nuage. J'ai donc jugé à propos d'examiner avec plus de soin ce qui n'avait pu être éclaira par la discussion, et d'achever par un traité le développement de ces matières. L'occasion de défendre au nom des nations la grâce divine qui leur appartient, a eu du moins cet avantage qu'un homme, sorti des nations et qui n'est pas Juif, ni de la race d'Israël par le sang, a commencé de revendiquer la loi de Dieu. Il suffirait déjà, en effet, que les nations pussent être admises à la loi de Dieu, pour qu'Israël ne fût pas en droit de répéter avec orgueil que « les nations ne sont qu'une goutte d'eau dans un vase d'airain, qu'une paille légère emportée parle vent. » Toutefois nous avons dans les oracles de Dieu lui-même des promesses et une garantie infaillibles, lorsqu'il jura au patriarche Abraham, « que foutes les nations de la terre seraient bénies dans sa race; et à Rébecca, que deux peuples, deux nations sortiraient de son sein, c'est-à-dire les Juifs ou Israël, d'une part, |2 et, de l'autre, les nations ou nous-mêmes. Les deux peuples ont été nommés également nations, de peur que l'un des deux ne s'attribuât, exclusivement à l'autre, le privilège de la grâce. Dieu, en effet, « désigna deux peuples, deux nations, comme devant sortir du sein d'une seule femme, » et il n'attacha point la grâce à la différence des noms, mais à l'ordre de la naissance, « de manière que celui qui naîtrait le premier, fût soumis au plus jeune, » en d'autre termes, à celui qui viendrait après. C'est dans ce sens que Dieu dit à Rébecca : « Deux nations sont en ton sein, et deux peuples sortiront de tes entrailles : un de ces peuples triomphera de l'autre, et l'aîné servira le plus jeune. »

C'est pourquoi, puisqu'il est reconnu que le peuple juif est la nation qui est venue la première dans l'ordre des temps, et qu'elle a été l'aînée par la grâce de sa vocation à la loi, tandis que notre peuple est le plus jeune, attendu qu'il n'a obtenu la connaissance de la divine miséricorde que vers la fin des temps, il ne faut pas douter, suivant l'oracle sacré, que le premier peuple qui est notre aîné, c'est-à-dire le peuple juif, ne soit nécessairement, asservi au plus jeune, et que le plus jeune, c'est-à-dire encore le peuple chrétien, ne triomphe de l'aîné. Car, si j'interroge les divines Ecritures, j'y vois que le premier de ces deux peuples, par le temps, abandonna Dieu pour servir des idoles, et, transfuge de la divinité, s'agenouilla devant de vils simulacres, témoin ce que le peuple dit à Aaron : « Faites-nous des dieux qui marchent devant nous. » Aussitôt que l'or qui provenait des bracelets des femmes et des anneaux des hommes, eut été fondu par la flamme, et que la tête d'un stupide animal fut sortie de la fournaise, Israël, répudiant son Dieu, rendit hommage à l'idole en ces mots : « Voilà les dieux qui nous ont tirés de la terre d'Egypte. » Il en fut de même plus tard, quand les rois leur commandaient. Nous les voyons adorer avec Jéroboam des génisses d'or, honorer les bois sacrés, et se prostituer |3 à Baal; ce qui prouve, d'après le témoignage des divines Ecritures, qu'ils ont toujours été désignés comme coupables d'idolâtrie. Notre peuple, au contraire, c'est-à-dire le second peuple, abandonnant les idoles qu'il servait auparavant, se convertit à ce même Dieu, dont Israël s'était éloigné, ainsi que nous venons de l'exposer. Par là, le plus jeune des deux peuples triompha de l'aîné, en obtenant le bienfait de la faveur divine dont Israël fut déshérité.

II. Avançons donc, et enfermons dans des lignes fixes et certaines le point capital de toute la question : il s'agit de savoir pourquoi il faudrait croire que le Dieu qui créa l'universalité des êtres, qui gouverne le monde tout entier, qui forma l'homme de ses mains, qui sema sur la terre tous les peuples sans exception, n'aurait donné sa loi par Moïse que pour un seul peuple, au lieu de la donner pour toutes les nations. D'abord s'il ne l'avait promulguée pour toutes indistinctement, il n'eût pas permis aux prosélytes des nations de l'embrasser. Mais ainsi qu'il convient à la bonté et à la justice de Dieu, puisqu'il est le créateur du genre humain, il établit pour toutes les nations la même loi, dont il prescrivit l'observance dans des temps par lui déterminés, quand il l'a voulu, à qui il l'a voulu et comme il l'a voulu. En effet, au berceau du monde, il donna sa loi à Adam et à Eve, en leur défendant de toucher au fruit de l'arbre planté dans le milieu du paradis, et en les avertissant que s'ils enfreignaient cet ordre, ils mourraient de mort. Cette loi leur eût suffi si elle avait été respectée, puisque, dans celte loi imposée à Adam, nous trouvons le germe caché de tous les préceptes qui se développèrent ensuite dans la loi mosaïque, c'est-à-dire : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton ame. ---- Tu aimeras ton prochain comme toi-même.----Tu ne tueras point. ----Tu ne commettras point l'adultère. ---- Tu ne déroberas point. ---- Tu ne porteras pas faux témoignage. ---- Honore ton père et ta mère. ----Tu ne désireras point le bien d'autrui. » La loi primitive |4 donnée à Adam et à Eve dans le paradis, est comme la mère de tous les préceptes de Dieu. En un mot, s'ils avaient aimé le Seigneur leur Dieu, ils n'eussent point violé son précepte; s'ils avaient aimé leur prochain, c'est-à-dire eux-mêmes, ils n'eussent point cru aux suggestions du serpent, et ils n'eussent point été homicides contre eux-mêmes en se privant de l'immortalité, parce qu'ils avaient enfreint le précepte de Dieu. De même, ils se fussent abstenus du larcin, s'ils n'avaient pas goûté secrètement du fruit de l'arbre, et s'ils ne s'étaient pas cachés sous son ombre pour échapper aux regards de Dieu. Ils n'eussent pas été enveloppés dans la même ruine que le démon, père du mensonge, s'ils n'avaient pas cru sur sa parole qu'ils deviendraient semblables à Dieu. Par là, ils n'eussent point offensé la bonté paternelle de ce Dieu, qui les avait formés du limon de la terre, comme s'il les avait tirés du sein d'une mère. S'ils n'avaient pas désiré le bien d'autrui, ils n'eussent pas goûté du fruit défendu. Ainsi dans cette loi générale et primitive, dont Dieu avait borné l'observance au fruit d'un arbre, nous reconnaissons implicitement tous les préceptes qui devaient germer plus tard et en leur temps dans la loi postérieure.

Il appartient au même législateur qui avait d'abord établi le précepte, de le retirer ensuite, parce que c'est à celui qui avait commencé à former des justes qu'il appartient d'achever de les instruire. Pourquoi s'étonner, en effet, que le fondateur de la loi l'accroisse, et que celui qui l'a commencée la perfectionne? En un mot, avant la loi de Moïse, gravée sur des tables de pierre, j'affirme qu'il exista une loi non écrite, mais comprise et observée par nos pères, en vertu des lumières naturelles. Comment Noé aurait-il été trouvé juste, si la justice de la loi naturelle ne l'eût pas précédé? D'où vient qu'Abraham a été regardé comme l'ami de Dieu, sinon par l'équité et la justice de la loi naturelle? D'où vient que Melchisédech est appelé « prêtre du Très-Haut, » si avant le sacerdoce de la loi |5 lévitique, il n'y a pas eu de lévites qui offrissent à Dieu des sacrifices? En effet, la loi ne fut donnée à Moïse que postérieurement aux patriarches mentionnés tout à l'heure, quand le peuple fut sorti de l'Egypte, et après un intervalle de beaucoup d'années. Enfin quatre cent trente ans s'étaient écoulés lorsque la loi fut donnée à Abraham. Nous reconnaissons par là qu'il y avait une loi de Dieu avant Moïse lui-même; qu'elle ne commença point seulement à l'Horeb, au mont Sinaï ou au désert, mais que remontant au paradis, elle fut modifiée pour les patriarches, et après eux pour les Juifs, selon la nature des temps. Il ne s'agit donc plus de nous arrêter à la loi de Moïse comme à la loi principale, mais de nous attacher à celle qui est venue ensuite, que Dieu manifesta également pour les nations à une époque déterminée, et dont les prophètes nous signalèrent les progrès ainsi que la réforme. Par conséquent, nous devons croire que la loi ayant été donnée par Moïse pour un temps déterminé, elle a été observée et gardée temporairement. N'allons pas enlever à Dieu la puissance qui modifie les préceptes de la loi pour le salut de l'homme, d'après les besoins des temps.

Enfin, à celui qui prétend qu'il faut encore observer le sabbat comme un moyen de salut, et la circoncision du huitième jour, à cause de la menace de mort qui y est attachée, je dirai : Montrez-nous qu'autrefois les justes ont fêté le sabbat, qu'ils ont circoncis leur chair, et qu'ils sont devenus amis de Dieu par ces pratiques. S'il est vrai que la circoncision purifie l'homme, pourquoi Dieu, qui crée Adam incirconcis, ne se hâte-t-il pas de le circoncire, même après qu'il a péché, puisque la circoncision purifie? Il est certain qu'en le plaçant dans le paradis, tout incirconcis qu'il était, il lui donna le gouvernement du paradis. Ce même Dieu qui plaça notre premier père dans le paradis, sans l'assujettir à la circoncision et à la célébration du sabbat, loua aussi par la même conséquence son fils Abel, qui lui offrait des sacrifices sans être |6 circoncis, sans observer le jour du sabbat, et ii ratifia ce qu'il lui offrait dans la simplicité du cœur, tandis qu'il repoussa le sacrifice de Caïn, son frère, « parce qu'il ne partageait pas également ce qu'il offrait. » Noé n'était pas circoncis; il ne célébrait pas le sabbat. Dieu ne le sauva pas moins du déluge. Que dis-je? Il transporta hors de ce monde le juste Enoch, qui ne connaissait ni la circoncision ni le sabbat, et qui n'a pas encore goûté de la mort, afin que ce candidat de l'éternité nous attestât que nous pouvons plaire également au Dieu de Moïse, sans le fardeau de la loi mosaïque. « Melchisédech, prêtre du Très-Haut, » fut appelé au sacerdoce de Dieu, sans observer la circoncision ni le sabbat. Enfin Loth, frère d'Abraham, nous prouve encore cette vérité, puisque c'est aux mérites de sa justice, et non à la pratique de la loi, qu'il dut d'être épargné dans l'incendie de Sodome.

III. ---- Abraham, dites-vous, a été circoncis. ---- D'accord; mais il fut agréable à Dieu avant d'être circoncis; toutefois il ne célébra point le sabbat. Il avait reçu en effet la circoncision, mais la circoncision qui était le signe de ce temps, et non une prérogative de salut. Enfin, les patriarches qui le suivirent ne furent pas circoncis, témoin ce Melchisédech qui, tout incirconcis qu'il est, « offre le pain et le vin à Abraham qui, déjà circoncis, revient du combat. »

---- Mais le fils de Moïse, ajoutez-vous, aurait été mis à mort par l'ange, si Séphora, sa mère, n'eût pris une pierre très-aiguë pour le circoncire. De là péril de mort, par conséquent, pour quiconque néglige la circoncision.

---- A cela je réponds que, si la circoncision était un gage indispensable du salut, Moïse n'eût pas négligé de circoncire son fils le huitième jour, puisqu'il est certain que Séphora fut contrainte par l'ange de le faire en chemin. Remarquons-le. La circoncision forcée d'un seul enfant ne put l'imposer à tout un peuple et convertir en loi cette obligation. Car Dieu, sachant bien qu'il donnait cette |7 observance à Israël, à titre de signe, mais non de salut, ordonne que le fils de Moïse, chef futur de son peuple, soit marqué de la circoncision, afin qu'au jour où il commencerait à donner au peuple, par l'intermédiaire de Moïse, le précepte de la circoncision, le peuple ne méprisât point cette observance, en la voyant déjà pratiquée sur le fils de son chef. Encore un coup, la circoncision n'était qu'un signe caractéristique, qui servirait à faire reconnaître Israël à la fin des temps, lorsqu'il lui serait interdit d'entrer dans la cité sainte à cause de ses crimes, ainsi que l'attestent les oracles des prophètes : « Votre terre sera déserte; vos villes seront la proie des flammes, des étrangers dévoreront votre patrie sous vos yeux. Elle sera désolée comme le champ que l'ennemi a dévasté. La fille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des fruits, comme une cabane dans un champ de concombres, comme une ville ruinée. » Voilà pourquoi le prophète leur adresse immédiatement ces reproches : « J'ai engendré des fils; je les ai nourris; mais ils m'ont méprisé. » Et ailleurs : «Lorsque vous tendrez les mains vers moi, je détournerai les yeux; vous redoublerez de prières et je n'écouterai point, car vos mains sont pleines de sang. » Et encore : « Malheur à la nation perverse, au peuple chargé de crimes, à la race d'iniquité, à ces enfants corrupteurs! Ils ont abandonné l'Eternel, ils ont blasphémé le saint d'Israël. »

Dieu a donc voulu, par un trait de sa providence, donner à Israël la circoncision comme un signe qui pût le faire reconnaître, lorsque viendrait le temps où l'entrée de Jérusalem lui serait interdite, à cause des crimes que nous avons rappelés plus haut. Ces événements nous étaient annoncés parce qu'ils devaient s'accomplir; et comme ils se sont accomplis sous nos yeux, nous les reconnaissons. Ainsi, de même que la circoncision charnelle, qui n'était que temporaire, a été donnée comme signe à un peuple |8 rebelle, de même la circoncision a été donnée comme gage de salut à un peuple docile, suivant la parole du prophète Jérémie : « Préparez la terre nouvelle et ne semez plus sur des épines. Recevez la circoncision du Seigneur, la circoncision du cœur. » Et ailleurs : « Voilà que les jours viennent, dit le Seigneur, et j'établirai dans la maison de Juda et dans la maison de Jacob une alliance nouvelle, mais qui ne ressemblera point à celle que j'ai donnée à leurs pères, au jour où je les ai tirés de la terre d'Egypte. »

Nous voyons par là que la première circoncision qui avait été donnée, devait cesser, pour faire place à une loi nouvelle, différente de celle qui avait été accordée à leurs pères. Ainsi l'avait signalé d'avance le prophète Isaïe. « Vers les derniers temps, la montagne où habite le Seigneur sera connue, et la maison de Dieu sera élevée au-dessus des collines, sur le sommet des montagnes. Toutes les nations y accourront en foule. Et les peuples iront en disant : Venez et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. » Vous l'entendez! non plus à la maison d'Esaù, le fils aîné, mais à celle de Jacob qui vient après lui, c'est-à-dire de notre peuple, dont Daniel nous montre « la montagne » qui est Jésus-Christ, « taillée sans la main des hommes et remplis-» sant toute la terre. » Enfin, Isaïe nous annonce par les paroles suivantes, qu'une loi nouvelle sortira de la maison du Dieu de Jacob : « La loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur de Jérusalem. Le Seigneur jugera les nations, » c'est-à-dire ceux de nous qui ont été appelés du milieu des nations; « alors ils changeront leurs épées en instruments de labour, leurs lances en faucilles; les nations ne lèveront plus le fer contre les nations; on ne les verra plus s'exercer aux combats. »

Peut-on reconnaître à ces traits un autre peuple que nous, qui, formés par la loi nouvelle, observons ces ordonnances, après avoir vu tomber la loi ancienne, dont la |9 dureté elle-même annonçait la future abrogation? La loi ancienne, en effet, se maintenait par la sanction du glaive, « elle arrachait œil pour œil, » et rendait outrage pour outrage. La loi nouvelle, au contraire, promettait la miséricorde, apprenait aux amis de la guerre à devenir les amis de la loi, et convertissait les hostilités violentes en actes pacifiques, destinés à cultiver et à féconder la terre. Que suit-il de là? De ce qu'il avait été prédit, comme nous l'avons montré plus haut, que la loi ancienne et la circoncision charnelle cesseraient, il résulte que l'observance de la loi nouvelle et de la circoncision spirituelle s'est manifestée à nous par la soumission de la paix. «Le peuple que je ne connaissais pas, est-il dit, m'a servi; il m'a écouté dans la docilité du cœur. » Ainsi l'annoncèrent les prophètes. Or quel est le peuple qui ne connaissait pas Dieu, si ce n'est nous-mêmes qui l'ignorions par le passé? Qui l'a écouté dans la docilité du cœur, si ce n'est nous encore, qui avons abandonné les idoles pour nous convertir à Dieu? En effet, Israël, qui était connu de Dieu, qui avait été glorifié par lui en Egypte, qui sous sa main avait franchi la mer Rouge, qui avait été nourri de la manne dans le désert, qui avait été traité pendant quarante années à l'image de l'éternité, sans être souillé par les passions humaines, sans toucher aux aliments de ce siècle, ne mangeant que le pain des anges, Israël enfin, qu'enchaînaient à Dieu tant de bienfaits, oublia son Seigneur et son Dieu, et dit à Aaron: «Fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car Moïse, cet homme qui nous a tirés de la terre d'Egypte, nous a abandonnés, et nous ne savons ce qui lui est arrivé. » Voilà pourquoi, « nous qui n'étions pas autrefois le peuple de Dieu, nous sommes devenus son peuple, » en recevant la loi nouvelle dont nous parlions tout à l'heure, et la circoncision nouvelle qui avait été prédite.

IV. Puisque nous avons démontré que l'abrogation de la circoncision charnelle et de la loi ancienne a eu lieu |10 dans son temps, il nous reste encore à prouver que l'observance du sabbat n'a été aussi que temporaire. Les Juifs nous disent que, « dès l'origine, Dieu sanctifia le septième jour, en se reposant ce jour-là des œuvres de la création. » De là vient, ajoutent-ils, que Moïse dit au peuple : « Souvenez-vous du jour du sabbat pour le sanctifier. Tu ne feras ce jour-là aucune œuvre servile, » excepté ce qui concerne le salut de l'ame. Nous en concluons que nous devons célébrer le sabbat, en nous interdisant toute œuvre servile, non pas seulement le septième jour, mais dans tous les temps. Il s'agit maintenant de chercher quelle espèce de sabbat Dieu nous ordonnait de garder. Les Ecritures, en effet, nous parlent d'un sabbat éternel et d'un sabbat temporaire. Le prophète Isaïe dit : « Mon ame hait vos sabbats. » Et ailleurs : « Vous avez profané mes sabbats. » Nous reconnaissons par là que le sabbat temporaire appartient à l'homme, tandis que le sabbat éternel remonte à Dieu. C'est de ce dernier sabbat qu'il a dit d'avance par la bouche d'Isaïe : « De mois en mois, de sabbat en sabbat, toute chair viendra et m'adorera dans Jérusalem, dit le Seigneur. » Cette merveille s'est accomplie à l'avènement de Jésus-Christ, lorsque toute chair, c'est-à-dire toute nation, est venue adorer dans Jérusalem Dieu le Père par Jésus-Christ son Fils, comme il avait été annoncé par le prophète : « Voilà que les étrangers iront à toi par moi. »

Ainsi avant ce sabbat temporaire, un sabbat éternel avait été annoncé et signalé d'avance, de même qu'avant la circoncision de la chair avait été prédite la circoncision de l'esprit. Que l'on nous montre donc, ainsi que nous l'avons déjà demandé, qu'Adam observa le sabbat; ou qu'Abel, qui offrait à Dieu une hostie sainte, lui a plu par son respect pour le sabbat; ou qu'Enoch, qui a été miraculeusement enlevé à la terre, a honoré le sabbat; ou que Noë, auquel échut l'honneur de construire l'arche pour sauver le genre humain du déluge, sanctifia le sabbat; ou |11 qu'Abraham offrit à Dieu Isaac son fils dans la célébration du sabbat; ou bien enfin que Melchisédech admit dans son sacerdoce la loi du sabbat.

---- Mais, vont nous dire les Juifs, il faut observer le sabbat depuis, que le précepte en a été donné par Moïse. ---- Il est donc manifeste par là, qu'un précepte qui devait cesser, n'était ni éternel ni spirituel, mais seulement temporaire. Enfin, il est si vrai que la célébration de cette solennité ne réside pas dans l'observance du sabbat, c'est-à-dire du septième jour, que Jésus, fils de Navé, au moment où il assiégeait la ville de Jéricho, dit au peuple, que Dieu lui avait ordonné de recommander aux prêtres de porter l'arche d'alliance pendant sept jours autour de la ville. Le dernier tour du septième jour ne sera pas plutôt achevé, ajoutait-il, que les remparts crouleront d'eux-mêmes. Ses ordres furent exécutés. A la fin du septième jour, les remparts tombèrent, ainsi qu'il avait été prédit. Il nous est prouvé manifestement par là que le jour du sabbat se trouva compris dans le nombre de ces sept jours. En effet, quel que soit le moment où on les fait commencer, il faut nécessairement qu'ils renferment le jour du sabbat, et que ce jour-là non-seulement les prêtres aient vaqué à une œuvre servi le, mais qu'une cité tout entière ait été la proie d'Israël, qui la passa au fil de l'épée. Qu'ils aient accompli une œuvre servile, le fait n'est pas douteux, puisque, d'après l'injonction de Dieu, ils se livraient aux déprédations de la guerre. Aux temps des Machabées, les Juifs combattirent vaillamment plus d'une fois le jour du sabbat, triomphèrent des ennemis étrangers, et par ces batailles livrées le jour du sabbat, rappelèrent la loi de leurs pères à son intention et à son but primitifs. Je n'imagine pas qu'ils aient défendu une autre loi que celle où il leur était prescrit de se souvenir du jour des sabbats. Preuve convaincante que les préceptes de cette nature ont été en vigueur pour un temps et à cause des nécessités du moment, mais que Dieu ne leur avait pas |12 donné primitivement cette loi pour qu'elle fût éternellement observée.

V. Nous démontrons encore par là que les oblations de la miséricorde et les sacrifices spirituels avaient été prédits. En effet, les sacrifices terrestres du fils aîné, c'est-à-dire d'Israël, nous sont figurés dès le berceau du monde par les offrandes de Caïn, tandis que nous trouvons dans celles du fils le moins âgé, d'Abel, c'est-à-dire de notre peuple, des sacrifices d'une autre nature. L'aîné présentait au Seigneur « les premiers fruits de la terre. Abel, qui était le plus jeune des deux, présentait aussi les premiers-nés de son troupeau. Le Seigneur regarda Abel et ses dons; mais il ne regarda ni Caïn ni ses dons. Et le Seigneur dit à Caïn : Pourquoi es-tu irrité et ton visage abattu? Si tu fais bien, n'en recevras-tu pas le salaire? Si au contraire tu partages d'une manière inégale, n'as-tu pas péché? Calme ta colère. Ton péché se tournera contre toi; mais tu peux encore le dominer. Et alors Caïn dit à Abel, son frère : Sortons. Et lorsqu'ils étaient dans la campagne, Caïn s'éleva contre son frère Abel et le tua. Et le Seigneur dit à Caïn : Où est Abel, ton frère? Caïn répondit : Je ne sais. Suis-je le gardien de mon frère? Et le Seigneur lui dit : Qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frère cric de la terre jusqu'à moi. Voilà pourquoi tu seras maudit maintenant sur celte terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de ton frère, versé par ta main; tu seras toujours tremblant et gémissant sur la terre. Et Caïn dit au Seigneur : Mon iniquité est trop grande pour que je puisse mériter le pardon. Voilà que vous me rejetez de la face de la terre, et je fuirai votre présence, et je serai gémissant et tremblant sur la terre, et quiconque me trouvera, me tuera. » Nous remarquons par là que les deux sacrifices des deux peuples avaient été figurés dès l'origine. Enfin, lorsque Moïse consignait dans le Lévitique les |13 prescriptions sacerdotales, nous y trouvons qu'il était enjoint au peuple d'Israël de n'offrir des sacrifices en aucun autre lieu que dans la terre de la promesse, que le Seigneur Dieu devait donner au peuple d'Israël et à ses frères, afin que quand Israël y serait introduit, il y célébrât des sacrifices et des holocaustes, tant pour les péchés que pour les âmes; mais jamais ailleurs que dans la terre sainte. Pourquoi donc l'Esprit annonce-t-il ensuite, par la bouche des prophètes, qu'un jour des sacrifices seront offerts sur toute la face de la terre et en tout lieu, ainsi que le prédit Malachie, un de ces douze anges que nous appelons prophètes? « Je ne prendrai plus de présents de votre main. Car depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant, mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant; l'on sacrifie en tout lieu, et une oblation pure est offerte à mon nom. » David, dans les psaumes, tient le même langage : « Nations, apportez vos hommages à Dieu : » oui sans doute, parce que la prédication des Apôtres devait retentir sur toute la terre. « Rendez à Dieu gloire et honneur; offrez des sacrifices à son nom : prenez vos offrandes, et entrez dans son sanctuaire. » En effet, qu'il faille apaiser Dieu par les sacrifices de l'esprit et non par ceux de la terre, nous le lisons ainsi : « Un cœur contrit et humilié est l'offrande qui plaît à Dieu. » Et ailleurs : « Offrez à Dieu un sacrifice de louanges, et rendez au Très-Haut vos hommages. » Ainsi, voilà un sacrifice spirituel de louanges annoncé formellement, et « un cœur contrit et humilié est l'offrande qui plaît au Seigneur. » Conséquemment, d'une part, réprobation des sacrifices charnels dont Isaïe parle en ces termes : « Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes, dit le Seigneur? » et de l'autre, promesses d'un sacrifice spirituel et agréable au Seigneur, comme l'annoncent les prophètes : « Quand même vous m'offririez de la farine de froment, vos sacrifices sont inutiles; je les ai en horreur. » Il ajoute |14 encore : « Qu'ai-je besoin de vos holocaustes, de la graisse de vos animaux, du sang des génisses, des agneaux et des boucs? Lorsque vous tendrez les mains, je ne vous exaucerai point. Qui a demandé ces offrandes à vos mains? » Ecoutez, au contraire, ce qu'il dit des sacrifices spirituels : «Des sacrifices purs et sans tache seront offerts à mon nom en tout lieu, dit le Seigneur. » 

VI. Maintenant qu'il est manifeste pour nous qu'il a été prédit un sabbat temporaire et un sabbat éternel, une circoncision charnelle et une circoncision spirituelle, une loi temporaire et une loi éternelle, des sacrifices charnels et des sacrifices spirituels, la conséquence veut qu'aux temps où ces préceptes charnels avaient été donnés au peuple Juif, ait succédé le temps où devaient cesser la loi et les cérémonies anciennes, pour faire place aux promesses de la loi nouvelle, à la connaissance des sacrifices spirituels et à l'accomplissement de la nouvelle alliance, puisque nous avons été éclairés « par cette lumière d'en haut, nous qui étions assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. » Par conséquent, comme nous avons établi plus haut que les prophètes avaient prédit une loi nouvelle, différente de celle qui avait été donnée à leurs pères, lorsque le Seigneur les tira de la terre d'Egypte, nous sommes dans la nécessité de montrer et de prouver, d'une part, que la loi ancienne a cessé; d'autre part, que la loi nouvelle, qui avait été promise, est maintenant en vigueur. Avant tout, il faut examiner d'abord si le législateur nouveau, l'héritier de l'alliance nouvelle, le pontife des sacrifices nouveaux, le purificateur de notre circoncision, l'observateur du sabbat éternel, est encore attendu pour abroger la loi ancienne, établir l'alliance nouvelle, offrir des sacrifices nouveaux, supprimer les cérémonies anciennes et l'ancienne circoncision, puisqu'il annonce qu'il a un sabbat particulier et « un royaume nouveau qui n'aura point de fin. » En deux mots, nous avons à chercher si l'auteur de la loi nouvelle, l'observateur du sabbat |15 spirituel, le pontife des sacrifices éternels, le maître éternel du royaume éternel, est venu ou non. S'il est venu, il faut le servir. S'il n'est pas venu, il faut l'attendre, pourvu qu'il soit manifeste qu'à son avènement les préceptes de la loi ancienne doivent céder la place aux lumières de la loi nouvelle. Le premier principe qu'il s'agit d'établir, c'est que la loi ancienne et les prophètes n'auraient pu cesser, si celui dont cette même loi et ces mêmes prophètes annonçaient l'avènement, n'était pas descendu sur la terre.

VII. La discussion est donc engagée sur ce terrain : Le Christ dont l'avènement était annoncé, est-il venu? ou bien attendons-nous encore le Christ qui doit venir? Pour le démontrer, nous avons besoin d'examiner les temps que les prophètes avaient marqués pour l'avènement de Jésus-Christ, afin que, si nous reconnaissons qu'il a paru aux temps marqués par eux, nous soyons fermement convaincus qu'il est ce même Christ annoncé par les prophètes, et auquel les nations devaient croire. Puis, quand il sera certain qu'il est venu, force nous sera de croire invinciblement qu'il a donné la loi nouvelle, et que le Testament nouveau s'est accompli pour nous en lui et par lui. Nous le savons, en effet, les Juifs ne nient pas que Jésus-Christ doive descendre parmi nous, puisqu'ils mettent toute leur espérance dans son avènement. Nous n'avons pas besoin de nous étendre davantage sur ce point. N'avons-nous pas le témoignage de tous les prophètes, et particulièrement d'ïsaïe, lorsqu'il dit : « Voici ce que dit le Seigneur Dieu au Christ mon Seigneur : Je t'ai pris par la main pour t'assujettir les nations; je briserai pour toi les forces des rois; les portes des villes s'ouvriront en ta présence, et aucune d'elles ne te sera fermée? » Nous avons vu cette merveille s'accomplir. Qui Dieu le Père prend-il par la main, si ce n'est Jésus-Christ, son Fils, que toutes les nations ont écouté, c'est-à-dire, dans lequel ont cru toutes les nations, et dont le Psalmiste nous désigne ainsi |16 les Apôtres chargés de prêcher son nom : « Leur parole s'est répandue dans tout l'univers; elle a retenti jusqu'aux extrémités de la terre? » Je le demande, en quel autre les nations ont-elles cru, sinon en Jésus-Christ, qui est déjà venu? En quel autre ont cru les nations, « Parthes, Mèdes, Elamites, et ceux qui habitent la Mésopotamie, l'Arménie, la Phrygie, la Cappadoce, le Pont, l'Asie, la Pamphylie, l'Egypte, cette partie de Libye qui est près de Cyrène, et les étrangers venus de Rome? » En qui ont cru les Juifs qui habitaient Jérusalem et les autres nations, telles que les différentes races des Gétules, les frontières multipliées des Maures, les dernières limites des Espagnes, les nations des Gaules, les retraites des Bretons, inaccessibles aux Romains, mais subjuguées par le Christ; les Sarmates, les Dacés, les Germains, les Scythes, tant de nations cachées, tant de provinces, tant d'îles qui nous sont inconnues » et que par conséquent il nous serait impossible d'énumérer?

Dans tons ces lieux retentit le nom de Jésus-Christ, qui est déjà venu et qui règne, comme le Dieu « en présence de qui se sont ouvertes les portes des cités, et pour qui nulle n'a été fermée;----devant qui toutes les portes de fer ont été brisées, et toutes les portes d'airain ouvertes. » Quoiqu'il faille entendre ces paroles dans un sens spirituel, qui signifie que les cœurs de chacun de nous, assiégés de diverses manières par le démon, ont été ouverts par la foi de Jésus-Christ, il n'en est pas moins vrai qu'elles se sont accomplies à la lettre, puisque le peuple de Jésus-Christ est déjà répandu dans tous les lieux. Qui donc aurait pu régner en tous lieux, sinon Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui nous était annoncé comme devant régner éternellement sur toutes les nations? Salomon régna, il est vrai, mais seulement dans les limites de Juda, et les frontières de son empire ne s'étendirent que de Bersabée à Dan. Darius régna, il est vrai, sur les Babyloniens et les Parthes, mais il n'a point assujetti toutes les nations |17 Pharaon, et après lui tous les souverains de ce nom, régnèrent sur l'Egypte, mais sur l'Egypte seule. Ainsi, Nabuchodonosor, aidé de ses lieutenants, poussa ses conquêtes de l'Inde à l'Ethiopie; là expirait sa puissance. Ainsi Alexandre le Macédonien, maître un moment de l'Asie entière et des contrées qu'il avait vaincues, ne légua point son empire à ses héritiers. Ainsi le Germain n'a pas encore permis à l'étranger de franchir ses barrières. Le Breton est retranché derrière l'Océan qui l'environne. L'impatience du Maure, et la barbarie du Gétule est tenue en échec par les Romains, pour la contenir dans ses limites. Que dirai-je des Romains eux-mêmes qui n'ont pas trop de leurs légions pour garder les frontières de leur empire, et qui n'ont jamais pu les transporter au-delà de ces nations? Il n'en est pas de même de Jésus-Christ : son nom et sa puissance ont pénétré dans tous les lieux du monde. Partout on croit à lui; il est honoré par toutes les nations que nous venons de nommer; partout il règne, partout il est adoré; partout on lui paie un tribut égal; point de roi qui trouve auprès de lui plus de faveur; point de Barbare qui soit accueilli avec moins de joie; point de privilège de rang ou de naissance qui détermine les mérites. Le même pour tous, il commande également à tous, seul roi, seul juge, seul Seigneur et seul Dieu de l'univers. Comment hésiteras-tu de croire ce que nous affirmons, quand tout cela s'accomplit sous nos yeux?

VIII. Il faut donc examiner les temps prédits et marqués pour la naissance de Jésus-Christ, pour sa passion et pour la dissipation, c'est-à-dire pour la ruine de Jérusalem. Daniel dit en effet : « La cité sainte et le Saint des saints seront dissipés par le chef qui doit venir, et le temple sera renversé jusque dans ses fondements. » Cherchons donc quels sont les temps où devait apparaître Jésus-Christ, notre chef. Nous les trouverons consignés dans Daniel. Après les avoir calculés, nous prouverons que Jésus-Christ est venu, non-seulement d'après les temps |18 marqués, mais d'après les signes qui devaient l'accompagner, et les miracles qu'il a opérés. Nous établissons cette démonstration par les événements qui devaient suivre sa venue, ainsi que le déclare la prophétie, afin que nous croyions tout à la fois à la certitude de la prédiction, comme à l'accomplissement de la prédiction. Telle est donc la nature de la prophétie de Daniel sur Jésus-Christ, qu'il annonça dans quel temps et à quelle époque il devait délivrer les nations, ajoutant de plus que la cité déicide serait ruinée après la passion du Seigneur. En effet, voici en quels termes il s'exprime : « En la première année de Darius, fils d'Assuérus, de la race des Mèdes, qui régna sur le royaume des Chaldéens, moi, Daniel, j'ai compris dans les livres le nombre des années. Et pendant que je parlais encore en ma prière, voilà que Gabriel, que j'avais vu en une vision au commencement, vola soudain, et me toucha au temps du sacrifice du soir. Et il m'enseigna, et il me parla, et il me dit : Daniel, maintenant je suis venu afin de t'enseigner et que tu comprennes. La parole est sortie dès le commencement de tes prières; mais je suis venu pour te dire que tu es l'homme de désirs : toi donc, médite la parole, et comprends la vision. Les soixante-dix semaines sont abrégées sur ton peuple et sur la sainte cité, afin que la prévarication soit consommée, et que le péché prenne fin, et que l'iniquité soit effacée, et que la justice éternelle paraisse, et que la vision soit accomplie, ainsi que la prophétie, et que le Saint des saints reçoive l'onction. Sache donc et comprends : Depuis la fin de la parole où Jérusalem sera de nouveau réédifiée, jusqu'au Christ roi, il y aura sept semaines et demie et soixante-deux semaines et demie; et de nouveau seront édifiées la place publique et les murailles au milieu de la joie; et, les temps seront renouvelés. Et après ces soixante-douze semaines, le Christ sera mis à mort; ce peuple ne sera plus son peuple; et avec un chef qui doit venir, il dissipera la cité et le |19 sanctuaire! et ils seront égorgés comme dans une inondation jusqu'à la fin de la guerre, qui ne finira que par une ruine complète. Et il confirmera l'alliance pour plusieurs. Dans une semaine et la moitié d'une semaine, mon oblation et mon sacrifice cesseront, et l'abomination de la désolation sera dans le temple, et persévérera jusqu'à la consommation et la fin (1). » Remarquons donc le terme fixé par le prophète, et avec quelle justesse il a prédit que soixante-dix semaines s'écouleraient, après lesquelles, « ils seraient édifiés en largeur et en longueur, et les temps seraient renouvelés, » s'ils recevaient Jésus-Christ. Mais Dieu qui lisait dans l'avenir, et qui savait bien qu'après l'avoir reçu, ils le persécuteraient et le mettraient à mort, se résuma et dit : Dans soixante-deux semaines il naîtra, et le Saint des saints recevra l'onction. Mais, quand sept semaines et demie se seront accomplies, il souffrira, et après une semaine et demie, la ville sera détruite, » c'est-à-dire au temps où les sept semaines et demie auront été révolues. Il ajoute en effet : « La cité et le sanctuaire seront dissipés par un chef qui doit venir, et ils seront immolés comme dans une inondation, et il détruira le temple jusque dans ses fondements. » Mais comment prouvons-nous que Jésus-Christ est venu au bout de soixante-deux semaines et demie? Nous commencerons à compter de la première année de Darius qui est le temps où la vision se montre aux yeux de Daniel. Car il dit : «Comprends et retiens bien ces paroles dont je te suis garant. » Voilà pourquoi nous devons partir de la première époque de Darius, époque où Daniel eut cette vision. Maintenant, comment les années sont-elles remplies jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ? Darius régna dix-neuf ans. Artaxerce en régna quarante. Ensuite vint |20 Ochus, le même que Cyrus, qui en régna vingt-trois. Argus ne fut sur le trône qu'un an. Un autre Darius, du nom de Mélas, l'occupa pendant vingt-deux ans; Alexandre le Macédonien pendant douze. Ensuite, après Alexandre, qui avait régné sur les Perses et les Mèdes qu'il avait vaincus, et qui avait établi son trône à Alexandrie, puisqu'il lui donna son nom, Soter régna trente-cinq ans dans cette même Alexandrie. Ptolémée-Philadelphe, son successeur, en régna trente-neuf. Il fut remplacé par Evergète, dont le règne fut de vingt-cinq ans. Puis vint Philopator qui en régna dix-sept. Epiphane, après lui, en régna vingt-quatre; un autre Evergète, vingt-neuf; un autre Soter, trente-huit; Ptolémée, encore trente-huit; Cléopâtre, vingt ans et six mois. Cléopâtre régna concurremment avec Auguste pendant treize ans. Après Cléopâtre, Auguste en régna encore quarante-trois; car le nombre de toutes les années de l'empire d'Auguste fut de cinquante-six. Or, nous voyons que Jésus-Christ naît, après la mort de Cléopâtre, la quarante-unième année de l'empire d'Auguste. Le même Auguste vécut encore quinze ans, après la naissance de Jésus-Christ. De Cléopâtre à la naissance de Jésus-Christ, il ne restera donc plus que quarante-un ans, ce qui fait quatre cent trente-sept ans six mois.

Par-là sont complétées les soixante-douze semaines et demie qui équivalent à quatre cent trente-huit ans et demi, jusqu'à la naissance de Jésus-Christ, époque où « la justice éternelle a paru, où le Saint des saints, c'est-à-dire le Christ, a reçu l'onction, où la vision et la prophétie ont été scellées, et où ont été remis les péchés » qui sont pardonnes par la foi au nom de Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui.

Mais que signifient ces mots : « La vision et la prophétie ont été scellées?» comme tous les prophètes annonçaient de Jésus-Christ qu'il devait venir et souffrir, la prophétie ayant eu son accomplissement par son |21 avènement, le prophète disait que la vision et la prophétie étaient scellées, parce que Jésus-Christ, en accomplissant tout ce que les prophètes avaient autrefois prédit sur sa personne, est comme le sceau et la consommation de tous les prophètes. En effet, depuis son avènement et sa passion, il n'y a plus ni vision ni prophète qui l'annoncent comme devant venir. Si cela n'est pas vrai, que les Juifs nous montrent donc quelques volumes écrits par les prophètes depuis Jésus-Christ ou les miracles visibles de quelques anges, tels que les prophètes en avaient vus jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ qui est descendu parmi nous, ce qui a été le sceau ou la consommation de la vision et de la prophétie.

C'est avec raison que l'évangéliste a dit : « La loi et les prophètes vont jusqu'à Jean-Baptiste. » Car une fois que le Christ eut été baptisé, c'est-à-dire qu'il eut sanctifié les eaux dans son baptême, la plénitude des grâces spirituelles de la loi ancienne se concentra dans le Christ, qui scellait la vision et toutes les prophéties, qu'il accomplit par son avènement. Voilà pourquoi Daniel dit avec une grande exactitude que son avènement « était le sceau de la vision et de la prophétie. »

Après avoir montré que le nombre des années et le temps des soixante-deux semaines et demie étant révolu, Jésus-Christ vint au monde, voyons comment sont remplies les sept semaines et demie que nous avons retranchées des premières semaines. Auguste vit encore quinze ans après la naissance de Jésus-Christ. Il a pour successeur Tibère qui gouverne l'empire pendant vingt-deux ans, sept mois, vingt jours. Jésus-Christ endura sa passion la quinzième année de cet empire, à l'âge d'environ trente ans (2). Après Tibère vient Caïus César, le même que Caligula, il règne trois ans, sept mois et treize jours; Néron, |22 neuf ans, neuf mois, treize jours; Galba, sept mois, six jours; Othon, trois mois, cinq jours; Vitellius, huit mois, dix jours. Vespasien triompha des Juifs dans la première année de son règne, ce qui fait cinquante-deux ans, six mois, car il régna neuf ans. Ainsi se complètent pour les Juifs les soixante-dix semaines prédites par Daniel jusqu'au jour de leur ruine. Avec l'accomplissement de ces années et la ruine des Juifs, cessèrent dans cette contrée les oblations et les sacrifices qui ne purent jamais depuis ce moment y être célébrés. Car toute onction y est anéantie depuis la passion de Jésus-Christ. Il était annoncé que l'onction « serait détruite, » ainsi qu'il est prédit dans les Psaumes : « Ils ont percé mes mains et mes pieds. » La sanglante immolation s'accomplit vers la fin des soixante-dix semaines, pendant le règne de Tibère, sous le consulat de Rubellius Géminus et de Fufius Géminus, au mois de mars, dans les temps de Pâque, le huitième jour des calendes d'avril, premier jour des azymes, où Moïse avait recommandé de manger l'agneau vers le soir. Toute la synagogue des enfants d'Israël l'immola donc en disant à Pilate qui voulait le délivrer : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants; » et encore : «Si vous le délivrez, vous n'êtes pas l'ami de César, » afin que tout ce qui était écrit sur sa personne pût avoir son accomplissement.

IX. Commençons donc à prouver que la naissance de Jésus-Christ fut annoncée par les prophètes. Isaïe parle ainsi : « Ecoutez, maison de David; n'est-ce donc pas assez pour vous de lasser la patience des hommes? Faut-il que vous lassiez encore la patience de Dieu? C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même ce signe : Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, ce qui signifie : Dieu avec nous. Il se nourrira de lait et de miel. ---- Car, avant que l'enfant puisse nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas, et il enlèvera les dépouilles de Samarie devant le roi d'Assur. » |23 

---- En bien! disent ici les Juifs, nous en appelons à la prophétie d'Isaïe, et nous demandons si ce nom que le prophète lui donne et tous les caractères qu'il lui attribue conviennent véritablement au Christ qui est déjà venu. Isaïe annonce qu'il «se nommera Emmanuel, qu'il détruira la puissance de Damas, et qu'il enlèvera les dépouilles de Samarie en présence du roi d'Assur. » Or, ajoutent-ils, celui qui est venu n'est pas connu sous ce nom, et n'a jamais fait la guerre.

Nous, au contraire, nous croyons devoir les avertir de relire tout ce qui se rattache à ce chapitre. En effet, au mot Emmanuel, est jointe sa signification « Dieu avec nous, » afin que l'on examine moins l'expression que son sens. « Emmanuel, » mot hébreu : Emmanuel, particulier à sa nation; « Dieu avec nous, » signification commune à tous. Or, je le demande, cette appellation, » Dieu avec nous, » représentation exacte du mot Emmanuel, ne se vérifie-t-elle point dans le Christ, depuis que ce soleil de justice a brillé sur le monde? Tu ne pourrais le nier, je l'imagine. Car ceux qui ont abandonné le judaïsme pour croire à Jésus-Christ, depuis qu'ils croient en lui, répètent : « Dieu est avec nous, » quand ils prononcent le mot Emmanuel. Il est donc attesté que l'Emmanuel des oracles est déjà descendu, puisque Emmanuel, c'est-à-dire, «Dieu avec nous, » est venu.

Les Juifs se laissent encore abuser par les mots, lorsque dans « cette puissance de Damas que Jésus-Christ doit détruire, dans ces dépouilles de Samarie qu'il emporte en face du roi d'Assur, » ils s'opiniâtrent à voir les présages d'un Christ conquérant, sans taire attention aux déclarations qui précèdent. « Avant que l'enfant sache nommer son père et sa mère, il détruira la puissance de Damas et il emportera les dépouilles de Samarie en face du roi d'Assur. » Il est bon d'examiner auparavant l'énonciation de l'âge de cet enfant, pour voir si sa faiblesse, qui ne comporte pas encore un rôle d'homme, ne |24 répugne pas davantage à un rôle de général. En vérité, c'est par le vagissement de son berceau que le nouveau-né appellera ses peuples aux armes; c'est avec la trompette et non avec le hochet qu'il donnera le signal du combat. Que lui parlez-vous d'armes, de cheval, ou de rempart pour découvrir l'ennemi? C'est du sein de l'esclave qui le porte, c'est des bras ou des épaules de sa nourrice qu'il l'observe, et au lieu de mamelles, c'est Damas et Samarie qu'il va subjuguer. Que les nouveau-nés s'élancent parmi vous au combat, séchant d'abord au soleil leurs membres frottés d'huile, puis armés de langes et recevant du beurre pour solde, je n'ai plus rien à dire : ils savent lancer le javelot avant de tourmenter le sein qui les allaite! Parlons sérieusement : si, d'après les lois de la nature, l'apprentissage de la vie précède partout celui de la milice, s'il est indispensable de connaître le nom de son père et de sa mère avant d'abattre l'orgueil de Damas, il faudra conclure de ces expressions qu'elles sont figurées.

----  Mais l'enfantement d'une Vierge ne contredit pas moins la nature, ajoutent-ils, et cependant il faut croire le prophète.

---- Oui, et avec justice. Il a préparé ma foi à une chose incroyable, en me disant qu'elle me servirait de signe : « C'est pourquoi le Seigneur vous le donnera comme un signe. Voilà qu'une vierge concevra et enfantera un fils. » Si ce n'eût pas été quelque nouveauté prodigieuse, le signe eût semblé peu digne de Dieu. En effet, vous avez beau alléguer, pour renverser la foi de quelques-uns à ce divin oracle, ou attirer à vous quelques âmes simples et crédules, que les livres saints n'ont point voulu parler ici d'une vierge, mais d'une jeune fille, mensonge absurde, qui se réfute par lui-même, nous écrierons-nous! Un événement aussi commun que la conception et la maternité chez une jeune fille pouvait-il être signalé comme un prodige? Mais une vierge mère! voilà un signe auquel j'ai raison de croire. Il n'en va pas de même d'un |25 conquérant nouveau-né : j'y chercherais vainement la raison du signe.

Après cette naissance à laquelle est attache un signe, arrive un ordre de circonstances moins élevées. « L'enfant mangera le miel et le beurre. » Là point de signe; car ceci appartient à l'enfance; mais « la puissance de Damas qu'il doit renverser, et les dépouilles de Samarie qu'il emportera en face du roi d'Assur, » renferment encore un signe mystérieux. Ne perdez pas de vue l'âge de l'enfant; cherchez le sens de la prophétie; faites mieux! restituez à la vérité ce que vous ne voulez pas croire. Alors s'évanouissent les obscurités de la prédiction aussi bien que l'incertitude de son accomplissement. En effet, laissez-nous ces Mages de l'Orient, déposant aux pieds de l'enfant-Dieu l'hommage de l'or et de l'encens; et le Christ à son berceau, sans armes, sans combats, aura enlevé les dépouilles de Samarie! Outre que la richesse principale de l'Orient réside dans son or et ses parfums, comme personne ne l'ignore, il est certain que l'or constitue aussi la force des autres nations. Témoin ce passage de Zacharie : « Juda s'unira à Jérusalem pour les vaincre, et il amassera les richesses des nations, l'or, l'argent et les étoffes précieuses en grand nombre. » David entrevoyait déjà l'honneur rendu à son Dieu, quand il disait : « L'or de l'Arabie lui sera donné; » et ailleurs : « Les rois d'Arabie et de Saba mettront à ses pieds leurs offrandes. » L'Orient, en effet, fut presque toujours gouverné par des Mages, et Damas était autrefois comptée comme une dépendance de la Syrie, avant que la distinction des deux Syries l'incorporât à la Syrophénicie. Le Christ, en recevant l'hommage de son or et de ses parfums, conquit donc spirituellement sa puissance.

Quant aux dépouilles de Samarie, il faut entendre par là les Mages eux-mêmes, qui, après avoir connu le Christ, après être venus le chercher sur la foi de son étoile, leur témoin et leur guide; après l'avoir adoré humblement |26 comme leur monarque et leur Dieu, représentaient par leur foi nouvelle dans le Christ les dépouilles enlevées à Samarie, c'est-à-dire à l'idolâtrie vaincue. En effet, au lieu de l'idolâtrie, le prophète a nommé allégoriquement Samarie, diffamée par ses superstitions et sa révolte contre Dieu, sous le roi Jéroboam. Est-ce la première fois que les Ecritures emploient une transposition de termes pour désigner des crimes semblables? Salomon appelle vos chefs des magistrats de Sodome; il nomme votre peuple, peuple de Gomorrhe, quoiqu'il y eût déjà longtemps que ces villes étaient détruites. Ailleurs le Seigneur dit à Israël par son prophète : « Votre père était Amorrhéen et votre mère Céthéenne; » non pas qu'ils fussent sortis du même sang, mais parce qu'ils avaient imité les prévarications de ces peuples. Et à qui adresse-t-il ces reproches? A ces mêmes enfants qu'il « avait autrefois engendrés et nourris, » disait-il. Ainsi encore l'Egypte signifie souvent, dans son langage, la flétrissure attachée au monde de l'idolâtrie et de la malédiction. Ainsi encore Babylone, sous la plume de notre Evangéliste, représente la grande cité romaine, immense, orgueilleuse de sa domination, et se baignant dans le sang des martyrs. Tel est aussi le sens du nom de Samaritains donné aux Mages : ils sont dépouillés, disent nos livres saints, parce qu'ils avaient participé aux superstitions idolâtriques de Samarie.

Quant à ces paroles : « En présence du roi d'Assur, » elles figurent le démon qui croit affermir son royaume, quand il détourne les saints de la religion de Dieu.

Cette explication est confirmée par plusieurs autres textes sacrés, où Jésus-Christ est représenté par quelques armes symboliques et des expressions figurées, sous la forme d'un conquérant. Je ne veux que la confrontation avec ces passages, pour convaincre les Juifs. «Ceignez votre glaive, ô le plus puissant des rois, » s'écrie David. Il est vrai; mais que lisons-nous précédemment sur le Christ? « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants |27 des hommes. La grâce est répandue sur ses lèvres. » En vérité, je ris d'entendre le prophète complimenter sur l'éclat de sa beauté et la grâce de ses lèvres un conquérant qu'il ceignait tout à l'heure de son glaive pour les combats, « Grandis, prospère, triomphe, ajoute-t-il. Triomphe pour la vérité, la douceur, la justice. » Je le demande, sont-ce là les œuvres du glaive? ou plutôt, ne produit-il pas les œuvres les plus opposées à la douceur et à la justice, la ruse, la cruauté, la barbarie, fruits inévitables des combats?

Examinons donc si ce glaive, dont les opérations sont si différentes, ne serait pas différent, c'est-à-dire, s'il ne serait pas la parole divine, glaive à deux tranchants, aiguisé par les deux Testaments, celui de la loi ancienne et de la loi nouvelle, aiguisé par son équité autant que par sa sagesse, et rendant à chacun selon ses œuvres. Le Christ de Dieu dont le prophète exaltait tout à l'heure la grâce et la beauté, a donc pu s'armer mystiquement, loin du tumulte des camps et des combats, du glaive de la parole divine. Voilà l'épée dont David ceignait sa cuisse, lorsqu'il annonçait qu'il viendrait sur la terre accomplir les ordres de son père. « Ta droite se signalera par d'éclatantes merveilles, » ajoute-t-il. Oui, par la vertu de la grâce spirituelle, d'où émane la connaissance du Christ : « Tes flèches sont brûlantes. » Allusion à ses commandements qui volent d'un bout du monde à l'autre, menaces, châtiments, contritions du cœur qui percent et pénètrent la conscience de chacun. « Les peuples tomberont à tes pieds, » pour l'adorer humblement. Voilà les combats et les guerres du Christ; voilà comment il a emporté sur ses épaules les dépouilles non-seulement de Samarie, mais de toutes les nations. Reconnais donc aussi des dépouilles allégoriques dans des mains qui portent des armes allégoriques! Ainsi le Christ descendu parmi nous sera d'autant moins belliqueux, qu'Isaïe ne l'annonçait pas comme un conquérant de la terre. |28 

---- Mais, disent les Juifs, si le Christ qui doit venir n'est pas appelé Jésus, pourquoi celui qui est venu porte-t-il le nom de Jésus-Christ?

----Eh bien! reconnais la nature de ton erreur. Quand il s'agit de donner pour successeur à Moïse le fils de Navé, quel nom fut substitué à Osée, son premier nom? Ne commença-t-il point à s'appeler Josué ou Jésus? ---- Assurément, réponds-tu.----Eh bien! sous ce symbole se cachait l'avenir. Comme Jésus-Christ devait introduire dans la terre promise, où coulent des ruisseaux de lait et de miel, disons mieux, comme il devait introduire dans les royaumes de la vie éternelle et ses incomparables béatitudes, le second peuple, qui n'est autre que nous-mêmes, qui nous égarions dans les déserts du siècle; comme ce n'était point à Moïse par l'ancienne loi, mais à Jésus-Christ par la grâce de la loi nouvelle, qu'il était donné d'accomplir cette heureuse révolution, et de nous circoncire avec la pierre mystérieuse, c'est-à-dire avec les préceptes de Jésus-Christ, car il est souvent représenté sous ce symbole, le chef du peuple hébreu fut destiné à figurer d'avance cette merveille, et consacré sous le nom de Jésus. Car celui qui s'entretenait avec Moïse était le Fils de Dieu en personne qui se laissait toujours voir, puisque « personne n'a jamais vu Dieu le Père sans mourir. » Il est donc certain que c'est le Fils de Dieu lui-même qui parlait alors à Moïse, et qui dit au peuple : « Voilà que j'envoie mon ange devant vous, afin qu'il vous précède, vous garde en votre voie, et vous introduise au lieu que je vous ai préparé. Respectez-le, écoutez ses ordres, et ne le méprisez point; car il ne vous pardonnera point quand vous aurez péché, parce que mon nom est en lui. » En effet, c'était Josué ou Jésus, et non Moïse, qui devait introduire le peuple dans la terre promise. Mais pourquoi l'appela-t-il son ange? A cause des merveilles qu'il devait opérer (vous lisez de vos propres yeux les merveilles opérées par Jésus, fils de Navé), et à cause de son |29 ministère prophétique, en vertu duquel il promulguait les volontés divines. C'est ainsi que l'Esprit saint, parlant au nom du Père, par la bouche du prophète, appelle du nom d'ange le céleste précurseur de Jésus-Christ : « Voilà que j'envoie devant ta face, » c'est-à-dire devant la face de Jésus-Christ, « mon ange, afin qu'il te prépare la voie. »

Ce n'est pas la première fois que l'Esprit saint donne le nom d'anges à ceux que Dieu a établis les ministres de sa puissance. Le même Jean-Baptiste est appelé non-seulement l'ange de Jésus-Christ, mais le flambeau qui brille devant ses pas. « J'ai allumé le flambeau de mon Christ, » dit le roi Psalmiste. Voilà pourquoi le Christ, qui venait accomplir les prophètes, dit aux Juifs : « Il était une lampe ardente et brillante, » non-seulement parce qu'il « lui préparait les voies dans le désert, » mais encore parce qu'en « montrant l'Agneau de Dieu, il éclairait les esprits des hommes » par sa prédication, afin qu'ils reconnussent l'Agneau dans la personne de celui dont Moïse annonçait la passion. Ainsi Josué s'appelle Jésus, à cause du mystère futur de son nom. Car le Christ confirma lui-même le nom qu'il lui avait donné en voulant qu'il ne s'appelât ni Ange ni Osée, mais Jésus. Tu le vois; les deux noms conviennent également au Christ de Dieu.

Mais comme la Vierge dont il fallait que le Christ naquît, ainsi que nous l'avons dit plus haut, devait sortir de la race de David, le prophète s'exprime sans figure dans ce qui suit : « Un rejeton naîtra de la tige de Jessé, » c'est-à-dire de Marie, « et une fleur s'élèvera de ses racines. L'esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété, esprit de la crainte du Seigneur. » Je le demande, à qui d'entre les hommes convenait l'universalité des dons spirituels, si ce n'est à Jésus-Christ seul, que le prophète compare à une fleur, à cause de sa grâce, et qu'il rattache à la tige de Jessé, parce qu'il devait en sortir par |30 Marie, sa mère? Jésus-Christ, en effet, naquit à Bethléem; il appartenait à la famille de David, ainsi que Marie, de qui est né le Christ, est inscrite dans le recensement des Romains. Puisque les prophètes annonçaient d'avance qu'il sortirait de la tige de Jessé, et qu'il donnerait au monde l'exemple de l'humilité, de la patience, de la résignation, examinons si quelqu'un est venu avec ce caractère. L'homme dans lequel nous reconnaîtrons chacun de ces traits sera le Christ en personne. J'entends le prophète qui me dit : « C'est un homme de douleurs, familiarisé avec la misère. Il a été conduit à la mort comme une brebis; il n'a pas plus ouvert la bouche que l'agneau muet sous la main qui le tond. ---- Il ne dispute point; il ne crie point; sa voix n'éclate point au dehors; il ne foule pas aux pieds le roseau brisé, » c'est-à-dire la foi chancelante d'Israël, « il n'éteint pas le lin qui fume encore, » c'est-à-dire les lueurs passagères des nations; loin de là, il les ravive aux rayons de sa lumière. Il ne peut différer du Christ des prophéties. Il faut que chacun des actes du Christ qui est venu, se reconnaisse d'après la règle des Ecritures qui l'ont annoncé.

Nous lisons qu'il se distingue, si je ne me trompe, à un double caractère, la prophétie et le miracle. Nous parcourrons chacun de ces caractères. Nous aurons achevé la discussion actuelle, si nous montrons que le Christ nous avait été annoncé comme prédicateur. Témoin ces paroles d'Isaïe : «Crie avec force; ne te lasse point; fais retentir la voix comme les éclats de la trompette; annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses prévarications. Chaque jour ils m'interrogent, ils veulent savoir mes voies. Comme un peuple ami de l'innocence et qui n'aurait point violé ma loi, etc..... » Qu'il dût opérer des miracles par la vertu de son Père, Isaïe le déclare encore : « Voilà que notre Dieu amènera la vengeance due à sa gloire. Il vient lui-même en personne; c'est lui qui nous sauvera. Alors les malades seront guéris, les yeux |31 de l'aveugle verront, et l'oreille des sourds entendra. Le boiteux bondira comme le cerf; la langue du muet sera prompte et rapide, » et enfin toutes les autres merveilles qu'opéra le Christ, et que vous ne niez pas vous-mêmes, puisque vous avez dit : « Nous te lapidons, non pour les œuvres que tu fais, mais parce que tu les fais le jour du sabbat. »

X. ----Vous refusez de croire à sa passion et à sa mort, parce que, selon vous, il n'avait pas été prédit que le Christ expirerait sur la croix. D'ailleurs, comment croire, ajoutez-vous, que Dieu ait livré son Fils à un genre de mort si honteux, quand il avait dit lui-même : « Maudit celui qui est suspendu au bois! » ---- L'examen du fait doit précéder ici le sens de cette malédiction. Le Seigneur avait dit dans le Deutéronome : « Lorsqu'un homme aura commis un crime digne de mort, il mourra et vous le suspendrez au bois; mais il sera enseveli le même jour, parce que celui qui est suspendu au bois est maudit de Dieu; et vous prendrez garde de ne pas souiller la terre que le Seigneur votre Dieu vous aura donnée en possession. » Ce n'est donc pas Jésus-Christ que son Père maudit dans ce genre de mort. Loin de là, il a établi cette distinction, que tout homme qui, coupable d'un crime digne de mort, et condamné à mourir, expirerait suspendu au bois, serait maudit de Dieu, parce qu'il était suspendu au bois en punition de ses crimes. Mais d'ailleurs le Christ, dont le mensonge ne souilla jamais les lèvres, qui fut un modèle accompli de justice et d'humilité, ne fut pas livré à ce genre de mort comme châtiment de ses iniquités, ainsi que nous l'avons exposé plus haut, mais pour accomplir les prédictions des prophètes qui vous désignaient comme les instruments de sa mort; témoin encore ce que l'Esprit du Christ chantait d'avance dans les Psaumes : « Ils me rendaient le bien pour le mal. ---- J'ai payé ce que je ne devais pas. ---- Ils ont percé mes pieds et mes mains. ---- Ils ont mêlé le fiel à mon breuvage, et |32 ils ont présenté à ma soif du vinaigre. ----Ils ont tiré au sort ma tunique, » et enfin les mille outrages dont il avait été prédit que vous l'abreuveriez. Il endura donc toutes ces indignités, non pas pour quelque œuvre qui lui fût personnelle, mais pour accomplir les Ecritures sorties de la bouche des prophètes. Il fallait donc que la prédiction retraçât d'avance le mystère de sa passion. Plus il contrariait la raison humaine, plus il devait exciter de scandale, annoncé sans voiles. Plus il était magnifique, plus il était nécessaire de le cacher sous de saintes ténèbres, afin que la difficulté de comprendre nous fît recourir à la grâce de Dieu. Voilà pourquoi, dès l'origine, Isaac, conduit par son père comme une victime, et portant lui-même le bois de l'immolation, figure la mort de Jésus-Christ, victime abandonnée par son Père et portant le bois de sa passion. Joseph est encore un symbole du Christ. Et ce n'est pas seulement, car je ne veux pas retarder ma course, ce n'est pas seulement dans Joseph, persécuté par ses frères, et vendu en Egypte pour la cause de Dieu, que nous retrouvons le Sauveur trahi et vendu par les Juifs, ses frères, dans la personne de Judas; la ressemblance éclate jusque dans les bénédictions. « Sa beauté est celle du taureau premier-né, ses cornes sont celles de l'oryx; avec elles, il frappera les peuples et les poussera jusqu'aux extrémités de la terre. »

Je le demande, est-ce quelque animal puissant, ou quelque monstre fabuleux que présage cet emblème? Non sans doute. Ce taureau mystérieux, c'est Jésus-Christ, juge terrible pour les uns, rédempteur plein de mansuétude pour les autres. Ces cornes, ce sont les extrémités de la croix; car dans l'antenne d'un navire, qui figure une partie du bois sacré, on donne le nom de cornes à ses extrémités. Enfin, l'oryx à la corne unique, désigne le tronc de l'arbre sur lequel il s'étendra. Cornes symboliques, c'est par leur vertu que mon Christ enlève tous les jours les nations par la foi, en les transportait de la terre |33 au ciel, et qu'au dernier jour, il les précipitera, par le jugement, du ciel sur la terre.

Ce même taureau reparaîtra encore dans les mêmes Ecritures, lorsque Jacob étendant sa bénédiction sur Siméon et Lévi, c'est-à-dire sur les scribes et les pharisiens, car cette race est fille de Siméon et de Lévi, ---- le patriarche s'écrie d'une voix prophétique : « Siméon et Lévi ont consommé l'iniquité par leur secte, » la secte qui a persécuté Jésus-Christ. « Mon ame n'est point entrée dans leurs complots; mon cœur ne s'est point uni à leurs assemblées, lorsque leur fureur a égorgé des hommes; » quels hommes, sinon les prophètes? « et que, dans leur vengeance, ils ont percé les membres du taureau, » c'est-à-dire du Christ qu'ils ont immolé comme les prophètes, et sur lequel ils ont assouvi leur haine en le clouant à un gibet. Au reste, leur reprocher, après le massacre des prophètes, d'avoir mis à mort quelque animal, serait par trop ridicule, s'il s'agissait ici d'un taureau vulgaire.

Que dire de Moïse, priant assis et les mains étendues, pendant que Josué ou Jésus combattait Amalec? Pourquoi cette attitude, lorsque au milieu de la consternation publique, et pour rendre sa prière plus agréable, il aurait dû fléchir les genoux en terre, meurtrir sa poitrine, et rouler son visage dans la poussière? Pourquoi? sinon parce que là où combattait le nom de Jésus qui devait terrasser un jour le démon, il fallait arborer l'étendard de la croix, par laquelle Josué devait remporter la victoire. Que signifie encore le même Moïse, après la défense de se tailler aucune image, dressant un serpent d'airain au haut d'un bois, et livrant aux regards d'Israël le spectacle salutaire d'un crucifié, pendant que des milliers d'Hébreux étaient dévorés par les serpents en punition de leur idolâtrie? C est que là encore était représentée la puissance miraculeuse de la croix dont la vertu triomphait de l'antique dragon; c'est que tout homme mordu par les serpents, |34 c'est-à-dire par les anges du démon, pour être guéri de la blessure de ses péchés, n'avait qu'à regarder et à croire ce mystérieux symbole de la croix de Jésus-Christ, qui lui promettait le salut.

Poursuivons! Si tu as lu dans le Psalmiste : « Le Seigneur a régné du haut du bois, » j'attends l'explication de ce texte. Car tu ne me diras pas sans doute qu'il s'agit probablement de quelque roi des Juifs terminant ses jours sur un gibet, et non pas de Jésus-Christ qui a régné ensuite, en triomphant de la mort par la passion de la croix. De même, nous lisons dans Isaïe : « Un enfant nous est né. » Mais qu'y a-t-il là de nouveau, si ce n'est pas du Fils de Dieu lui-même qu'il nous dit : « Un enfant nous a été donné : il porte sur ses épaules le signe de sa domination? » Parle! où est le monarque qui porte sur ses épaules le signe de la domination, au lieu d'un diadème sur sa tête, ou d'un sceptre à sa main, ou de quelque marque distinctive dans ses habits? Mais le roi nouveau des siècles nouveaux, Jésus-Christ, a seul porté sur ses épaules la puissance d'une gloire nouvelle et la preuve de sa grandeur, c'est-à-dire la croix, afin que, conformément à la prophétie précédente, « le Seigneur régnât du haut du bois. »

C'est encore de ce bois que vous deviez dire, ainsi que nous le montre Dieu par la bouche de Jérémie : « Venez! jetons le bois sur son pain; retranchons-le de la terre des vivants, afin que son nom soit effacé pour jamais. » En effet, le bois fut jeté sur son corps. Le Seigneur lui-même éclaircit dans la suite ce mystère, « quand il nomma son corps, » le même pain que le prophète avait appelé autrefois figurément son corps. Te faut-il d'autres preuves que la croix de notre Seigneur a été prédite? Ouvre le psaume vingt-unième, où est contenue la passion du Christ, qui chante ainsi d'avance toute sa gloire : » Ils ont percé mes pieds et mes mains. » Voilà bien le supplice particulier de la croix. Il n'est pas moins clair quand il |35 invoque le secours de son Père : « Sauvez-moi de la gueule du lion, » c'est-à-dire de la mort; « détournez de ma faiblesse les cornes de l'oryx, » c'est-à-dire les extrémités de la croix, ainsi que nous l'avons exposé plus haut. Est-ce David qui fut attaché à un gibet? Est-ce de quelque roi d'Israël ou de quelque prophète, que l'on perça les pieds et les mains? Non; point d'autre crucifié que celui qui fut crucifié par tout un peuple avec tant d'appareil!

Maintenant, si la dureté de votre cœur rejette ces explications et s'en moque, il me suffit, nous l'avons prouvé, que la mort de Jésus-Christ ait été prédite, pour que je sois en droit de conclure qu'elle s'est consommée par le supplice de la croix, quoique l'Ecriture ait gardé le silence sur le genre de mort, et que je ne puisse attribuer la mort de la croix qu'à celui dont la mort était annoncée. Je n'ai besoin que d'un mot d'Isaïe pour attester tout à la fois sa mort, sa passion et sa sépulture. « Il a été conduit à la mort par les crimes de mon peuple. ---- On lui réservait la sépulture de l'impie; il a été enseveli dans le tombeau du riche, parce qu'il a ignoré l'iniquité, que le mensonge n'a jamais souillé ses lèvres, que le Seigneur a voulu délivrer son ame de la mort. » Il dit encore ailleurs : « Sa sépulture a été enlevée du milieu des hommes. » Point de sépulture sans mort; point de sépulture enlevée du milieu-des hommes, sans résurrection. Enfin il ajoute aussitôt : « Voilà pourquoi je lui donnerai en partage un peuple nombreux; il distribuera lui-même les dépouilles des forts. » De quel autre s'agit-il? sinon de celui qui naquit, comme nous l'avons montré plus haut, « pour que son ame fut livrée à la mort. » Déclarer que celte grâce était le dédommagement de ses outrages et de sa mort, c'était déclarer en même temps qu'il arriverait à cette gloire par sa mort, c'est-à-dire après sa mort par sa résurrection.

Les ténèbres couvrirent la terre en plein midi le jour de sa mort. Le prophète Amos n'a pas oublié cette |36 circonstance : «En ce jour-là, dit le Seigneur Dieu, je ferai disparaître le soleil en plein midi, et au milieu de la lumière, j'obscurcirai la face de le terre. Je changerai vos jours de fête en jours de deuil, et vos cantiques de joie en lamentations; je couvrirai tous les reins d'un cilice; je placerai l'ignominie sur toutes les têtes; je plongerai Israël dans les larmes comme à la mort d'un fils unique, et tous ceux qui sont avec lui auront leur jour de douleur. » N'est-ce pas là ce que Moïse prophétisait que vous feriez au commencement du premier mois de l'année, lorsqu'il enjoignait à tout le peuple d'Israël d'immoler l'agneau vers le soir, et qu'il annonçait d'avance que vous célébreriez dans l'amertume la solennité de ce jour, c'est-à-dire la Pâque des azymes? Car « c'est la Pâque du Seigneur,» ajoutait-il; en d'autres termes, c'est la passion de Jésus-Christ. La prophétie a eu son accomplissement. Vous avez mis à mort Jésus-Christ, le premier jour des azymes. Et afin que la prédiction se vérifiât, le jour se convertit aussitôt en nuit; des ténèbres couvrirent la face de la terre en plein midi; et c'est ainsi que « Dieu changea vos jours de fête en deuil, et vos cantiques de joie en lamentations.» Que dirai-je encore? La captivité et la dispersion qui vous frappèrent après la passion de Jésus-Christ, avait encore été prédite par l'Esprit saint.

XI. Oui, Ezéchiel annonce votre ruine, comme châtiment de votre déicide, et il l'annonce non pas seulement pour le siècle dans lequel elle s'est déjà consommée, mais pour le grand jour des vengeances qui viendra ensuite. Calamité universelle! Personne n'en sera délivré, s'il n'est marqué du sang de ce même Jésus-Christ que repoussent vos dédains. Car il est écrit : et Le Seigneur me dit : Vois-tu, fils de l'homme, ce que les anciens d'Israël font dans les ténèbres, et ce que chacun d'eux pratique dans le secret de sa maison. Ils ont dit : Le Seigneur ne nous voit point; le Seigneur a délaissé la terre; et il |37 me dit : Si tu te tournes d'un autre côté, tu verras des abominations plus grandes que celles-ci. Et il me conduisit à l'entrée de la porte du Seigneur, qui regarde du côté du septentrion; et voilà des femmes assises, pleurant Thamnuz. Et le Seigneur me dit : Fils de l'homme, vois-tu ce qu'ils t'ont? La maison de Juda se fait-elle donc un jeu du crime, pour s'abandonner ainsi à l'iniquité? Mais si lu te tournais d'un autre côté, lu verrais des abominations plus grandes encore. Et il me conduisit dans le parvis intérieur de la maison du Seigneur, et voilà qu'à l'entrée du temple du Seigneur, entre le vestibule et l'autel, vingt-cinq hommes environ tournaient le dos au temple du Seigneur, le visage à l'orient, et ils adoraient le lever du soleil. Et il me dit : Vois-tu, fils de l'homme, ce qu'ils font? C'était donc peu à la maison de Juda d'avoir l'ait les abominations qu'ils ont faites ici, puisqu'ils ont comblé la mesure de leur impiété, et qu'ils m'ont abreuvé d'outrages. Ainsi donc j'agirai dans ma fureur; mon œil n'épargnera pas, et je n'aurai point pitié. Et lorsqu'ils crieront à mes oreilles à haute voix, je ne les écouterai point. Plus de pardon pour eux.----Et il cria à mes oreilles d'une voix forte, disant : Ceux que ma vengeance appelle pour visiter la ville sont proches; chacun d'eux tient en main un instrument de mort. Et voilà que six hommes venaient du chemin de la porte supérieure qui regarde vers l'aquilon; et dans la main de chacun d'eux un instrument de mort. Un autre au milieu d'eux, revêtu d'une robe de fin lin, portait sur les reins une ceinture de saphir. Et ils entrèrent; cl ils se tinrent près de l'autel d'airain. El la gloire du Dieu d'Israël descendit du chérubin où elle réside dans la partie découverte de la maison; et elle appela celui qui était vêtu d'une robe de lin, et qui portait sur les reins une ceinture de saphir. Et le Seigneur lui dit : Passe à travers la ville, au milieu de Jérusalem, et marque d'un Tau le front des hommes qui |38 pleurent et qui gémissent sur toutes les abominations qui se font au milieu d'elle. Et il dit aux six hommes, moi entendant : Suivez-le et passez au travers de la ville, et frappez; que votre œil n'épargne pas, et n'ayez pas pitié. Frappez le vieillard, le jeune homme, la jeune fille, l'enfant et les femmes; frappez jusqu'à la mort; mais ne tuez aucun de ceux sur le front desquels vous verrez le Tau. Et commencez par mon sanctuaire. » Le sacrement de ce signe mystérieux, qui préludait d'avance à la vie des hommes, et dans lequel les Juifs ne devaient pas croire, a été annoncé par plusieurs symboles. Moïse le désignait encore dans l'Exode, lorsqu'il disait : « Le Seigneur vous chassera de la terre dans laquelle vous entrerez. Dispersés parmi les nations, vous n'y trouverez aucun repos; vous n'aurez pas seulement où reposer la plante de vos pieds. Car le Seigneur vous donnera un cœur tremblant, des yeux languissants et une ame dévorée de douleurs. Votre vie sera comme en suspens devant vous, et vous ne croirez point à votre vie. » La prophétie s'étant donc accomplie par son avènement, c'est-à-dire par sa naissance, que nous avons exposée plus haut, et par sa passion, dont nous avons fourni d'irrécusables témoignages, voilà pourquoi Daniel disait que « la vision et la prophétie étaient scellées, » parce que le Christ est le sceau et la consommation de tous les prophètes, en accomplissant tout ce qu'ils ont annoncé sur sa personne. Car, après son avènement et sa passion, « il n'y a plus ni vision ni prophétie. » Il a eu raison de dire, par conséquent, que sa présence parmi nous est le sceau de la vision et de la prophétie.

Pour nous, en supputant les années, et en montrant que les soixante-deux semaines et demie étaient révolues, nous avons prouvé que Jésus-Christ était venu, c'est-à-dire qu'il s'était fait chair. De plus, avoir fourni la démonstration que Jésus-Christ a souffert la passion à la fin des sept semaines et demie retranchées aux précédentes, c'est avoir |39 établi qu'avec l'expiration de ces soixante-dix semaines et la destruction de la ville, ont dû cesser également l'onction sacerdotale et les sacrifices.

Il nous suffit pour le moment d'avoir parcouru rapidement tout ce qui concerne le Christ, d'où il résulte qu'il s'est montré tel qu'il était annoncé, ne fût-ce que par cette concordance avec les Ecritures que nous avons rapportées, outre que le plus grand nombre les interprète avec nous contre les Juifs. En effet, ils n'oseraient ni révoquer en doute, ni contester ce qui a été écrit et que nous produisons contre eux. D'une part, comment nier des choses parfaitement d'accord avec les divines Ecritures? De l'autre, est-il possible de ne pas reconnaître comme accomplis les événements qui, d'après la prophétie, devaient suivre la passion de Jésus-Christ? En effet, le plan prophétique n'aurait pas eu son accomplissement, si Jésus-Christ, après lequel devait s'accomplir tout ce qui était annoncé, n'était pas venu pour attester que toutes les prophéties avaient eu leur consommation.

XII. Regarde toutes les nations sortant de l'abîme des erreurs humaines, pour arriver à la connaissance du Seigneur Dieu créateur et de son Christ, Dieu comme lui! Puis, nie, si tu l'oses, qu'un si merveilleux événement ait été prédit! Je t'arrête aussitôt par ces paroles que le Père adresse à son Fils dans le Psalmiste : « Tu es mon fils; je t'ai engendré aujourd'hui. Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et les extrémités de la terre pour empire. » Tu ne seras pas mieux fondé à l'appeler fils de David au lieu de Christ, encore moins à prétendre que l'empire de la terre a été promis à David qui ne régna que sur la nation juive, plutôt qu'à Jésus-Christ qui règne sur tout l'univers par la foi à son Evangile. Ecoute encore Isaïe : « Moi le Seigneur, je l'ai appelé dans les secrets de ma justice pour ouvrir les yeux des aveugles, » c'est-à-dire de ceux qui étaient plongés dans l'erreur, « pour briser les liens des captifs, » c'est-à-dire |40 pour les délivrer de la servitude du péché; « pour arracher à la maison de leur prison, » c'est-à-dire de la mort, tous ceux qui étaient assis dans les ténèbres » de l'ignorance. Si toutes ces merveilles s'accomplissent par Jésus-Christ, confessons-le! elles n'ont été prédites que pour Jésus-Christ seul, dans qui nous les voyons s'accomplir.

XIII. Puisque les enfants d'Israël prétendent que nous sommes dans l'erreur, quand nous reconnaissons un Christ déjà descendu parmi nous, empruntons aux Ecritures elles-mêmes une prescription qui leur prouve que le Christ qui était annoncé est déjà venu. Toutefois, nous leur avons déjà prouvé, par le témoignage des temps et les calculs de Daniel, que le Christ est venu comme il avait été prédit. Il fallait d'abord qu'il naquît dans Bethléem, ville de Juda. Car il est écrit dans le prophète : « El toi, Bethléem, lu n'es pas la plus petite des villes de Juda; c'est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d'Israël. » Si le chef qui, selon toutes les prophéties, devait sortir de la tribu de Juda et naître à Jérusalem, n'est pas encore né, il faut qu'il sorte un jour de la tribu de Juda et qu'il naisse à Bethléem. Mais nous remarquons que dans cette ville de Bethléem, il ne reste plus aujourd'hui un seul membre de la race d'Israël. Il y a plus. Depuis que la défense en a été portée, aucun Juif ne peut même demeurer dans le voisinage de cette contrée, si bien que la menace du prophète s'est accomplie à la lettre : « Votre terre est déserte; vos villes sont la proie des flammes, » c'est-à-dire (hélas! vous l'avez vu à l'époque de votre guerre), « des étrangers, sous vos veux, ont dévoré votre patrie; elle est désertée comme le champ que l'ennemi a dévasté. » Ailleurs le prophète parle ainsi : « Vous verrez votre roi dans toute sa splendeur. » Qu'est-ce à dire? Vous verrez Jésus-Christ opérant des merveilles en l'honneur de Dieu son Père; vous porterez au loin vos « regards sur la terre de Juda. » Repoussés de votre terre natale par une rigueur que vous n'avez que trop méritée, |41 il ne vous est permis que de la contempler de loin. « Votre ame sera dans la frayeur, » poursuit le prophète. Oui, sans doute, au moment de votre désastre. Je le demande, comment « un chef naîtra-t-il de la Judée? » Comment « sortira-t-il de Bethléem, » ainsi que l'annoncent les divins oracles des prophètes, puisqu'aujourd'hui il ne reste plus dans la Judée un seul homme d'Israël de la race de qui puisse naître le Christ? S'il n'est pas encore venu, ainsi que l'affirment les Juifs, de qui donc recevra-t-il l'onction, lorsqu'il sera venu? En effet, la loi dit : « Il n'est pas permis de conférer dans la captivité l'onction qui consacre les rois. » Or, si l'onction n'est plus avec eux, ainsi que Ta prophétisé Daniel en ces mots : « L'onction sera détruite, » il n'y a donc plus d'onction chez eux, puisqu'ils n'ont plus ni le temple ni l'autel où réside l'onction qui faisait les rois. Si donc l'onction n'existe plus, qui donnera l'onction au chef qui naîtra dans Bethléem? ou bien, comment sortira-t-il de Bethléem, puisqu'il n'y a plus dans Bethléem aucun homme du sang d'Israël?

Enfin montrons de nouveau, d'après les prophètes, que le Christ a déjà souffert, qu'il est déjà remonté aux cieux, et qu'il en descendra un jour, comme le prophète l'annonce.

Nous lisons dans Daniel que la ville devait être ruinée de fond en comble après son premier avènement. L'événement s'est accompli sous nos yeux. En effet, « la ville et le sanctuaire, dit l'Ecriture, seront dissipés avec le chef, » avec le chef, incontestablement, qui devait sortir de Bethléem et de la tribu de Juda. Il est manifeste par là que la ville devait être ruinée, après que son chef y aurait subi sa passion; ainsi le déclarent les témoignages des prophètes : « J'ai tendu les bras pendant tout le jour à un peuple incrédule, révolté contre moi, et qui marche dans une voie mauvaise à la suite de ses pensées. » Même langage dans les Psaumes : «Ils ont percé mes pieds et mes mains; ils ont compté tous mes os. Ils m'ont regardé, |42 ils m'ont considéré attentivement. ---- Ils m'ont présenté du vinaigre pour apaiser ma soif. » Ce n'est pas David qui a souffert toutes ces cruautés, pour avoir le droit de se les appliquer à lui-même, mais le Christ qui a été crucifié. On ne perce d'ailleurs les pieds et les mains qu'à celui qui est suspendu au bois. De là vient que David prédisait que le Seigneur régnerait du haut du bois. Car le même prophète annonçait ailleurs les fruits merveilleux de ce bois, lorsqu'il disait : « La terre a enfanté son fruit. » Oui, cette terre vierge que n'avaient pas encore arrosée les pluies, que les ondées n'avaient pas encore fécondée, cette terre de laquelle l'homme fut formé autrefois, de laquelle Jésus-Christ est né aujourd'hui d'une Vierge, selon la chair.

« Le bois, est-il dit encore, a porté son fruit. » Non pas ce bois qui, dans le Paradis, donna la mort à nos premiers parents, mais le bois de la passion de Jésus-Christ, « où a été suspendue la vie à laquelle vous n'avez pas cru. » Bois mystérieux! C'est par sa vertu que Moïse corrigeait autrefois l'amertune des eaux de Mara, lorsque, dans le désert, elles rendirent la vie au peuple qui allait mourir de soif, de même que nous autres, infidèles, arrachés à la nuit du siècle dans laquelle nous étions ensevelis et travaillés par une soif mortelle, c'est-à-dire privés des salutaires breuvages de la parole divine, nous avons bu l'eau du baptême, adoucie par le bois sacré de la passion, et avons recouvré la vie par cette même foi qu'Israël a répudiée, suivant cette parole de Jérémie : « Envoyez au loin, et interrogez avec soin : y eut-il jamais rien de semblable? Les nations ont-elles changé leurs dieux, ces dieux, vains simulacres? Et mon peuple a changé sa gloire pour une idole! Le ciel en a frémi d'épouvante. » Quand et comment le ciel a-t-il pu frémir d'épouvanté? Incontestablement lorsque Jésus-Christ a souffert. « Et il a tressailli d'horreur, dit Amos, et le soleil s'est obscurci au milieu du jour. » |43 

Quand donc a-t-il tressailli d'horreur, sinon dans la passion de Jésus-Christ, au moment « où la terre trembla, où le voile du temple se déchira, et où les tombeaux s'ouvrirent? » Pourquoi cela? « Parce que mon peuple a fait deux maux; il m'a abandonné, moi la source d'eau vive, pour se creuser des citernes, fosses entr'ouvertes qui ne peuvent retenir l'eau; » sans aucun doute lorsqu'ils ont refusé de recevoir Jésus-Christ, « qui est la source d'eau vive. » Ils ont commencé à se creuser des citernes sans fond, c'est-à-dire, ils ont formé parmi les nations où ils sont dispersés, des synagogues dans lesquelles ne réside plus l'Esprit saint comme il résidait autrefois dans le temple, avant l'avènement de Jésus-Christ, qui est Je temple véritable de Dieu.

C'est à cette soif de l'Esprit divin que le prophète Isaïe faisait allusion dans ces mots : « Mes serviteurs seront dans l'abondance, et vous, vous aurez faim; mes serviteurs seront désaltérés, et vous, vous aurez soif; vous pousserez des hurlements dans l'amertume de votre cœur. Votre nom sera pour mes élus un nom d'imprécation; le Seigneur vous perdra, et donnera à ses serviteurs un autre nom qui sera béni sur toute la terre. »

Nous rencontrons encore au livre des Rois le mystère de ce bois symbolique. Lorsque les enfants des prophètes coupaient du bois sur les bords du Jourdain, le fer de leurs haches se détacha et roula dans le fleuve. Le prophète Elisée survient. Ils lui demandent de retirer du fleuve le fer qui y était tombé. L'homme de Dieu, ayant pris un morceau de bois, le plongea aussitôt à l'endroit où avait disparu le fer. Celui-ci nagea sur l'eau; les enfants des prophètes le reprirent, tandis que le bois resta plongé sous les eaux. Ils comprirent par là que l'Esprit d'Elie revivait en lui. Quoi de plus manifeste que le sacrement de ce bois? Il signifie que ce siècle, enseveli dans le gouffre de 1 erreur, est délivré de son endurcissement au baptême |44 par le bois de la passion de Jésus-Christ, afin que ce qui avait péri autrefois en Adam par le bois, soit réparé par le bois de Jésus-Christ, pendant que nous autres, qui avons succédé aux prophètes, nous endurons aujourd'hui les mêmes tribulations qu'éprouvèrent toujours les prophètes pour leur divine religion. Les Juifs, en effet, ont lapidé les uns, ils ont banni les autres, ils en ont immolé plusieurs; ils ne sauraient le nier.

Voilà encore le bois qu'Isaac, fils d'Abraham, portait sur ses épaules pour son sacrifice, lorsque Dieu avait demandé qu'il lui fût offert comme une victime. Mais comme c'étaient là des symboles dont le Christ se réservait la consommation, Isaac fut épargné avec son bois, et remplacé sur l'autel par un bélier dont les cornes s'étaient embarrassées dans le buisson. Le Christ, lui, porta sur ses épaules le bois du sacrifice, et appliqua son corps sur les cornes ou extrémités de la croix, la tête couronnée d'un diadème d'épines. Il fallait qu'il fût sacrifié pour toutes les nations, « celui qui fut conduit à la mort comme une brebis, et qui n'ouvrit pas plus la bouche que l'agneau, muet sous la main qui le tond. » Pilate a beau l'interroger, il n'en reçoit point de réponse. « Il est mort au milieu des abaissements, après une condamnation. Mais qui racontera sa génération? » Parce qu'en effet nul homme ne sut le secret de la conception et de la naissance de Jésus-Christ, lorsque la Vierge Marie fut trouvée enceinte du Verbe de Dieu, « Il a été enlevé à la terre des vivants. » Oui, sans doute, lorsqu'après sa résurrection d'entre les morts, qui eut lieu le même jour, il rentra triomphalement dans les cieux, selon la promesse prophétique d'Osée : « Ils se lèveront avant le jour pour venir vers moi, en disant : Allons, retournons vers le Seigneur, parce que c'est lui qui nous délivrera et nous sauvera. Après deux jours, le troisième jour, » qui est celui de sa résurrection glorieuse, le même Esprit dont les Juifs ne voulurent connaître ni la naissance, ni la passion, le reçut de la terre |45 dans les cieux, d'où il était descendu auparavant dans le sein d'une Vierge.

Ainsi, puisque les Juifs prétendent que leur Christ, dont nous avons prouvé l'avènement par tant de témoignages, n'est pas encore venu, qu'ils reconnaissent au moins la réalité du désastre que la prophétie leur annonçait, après son avènement, comme la récompense de leurs mépris, de leur cruauté et de leur déicide. D'abord, depuis que, suivant cette parole d'Isaïe, « l'homme répudia les abominations d'or et d'argent qu'il avait taillées pour recevoir de vaines et stériles adorations, » c'est-à-dire depuis que les nations, qui ne sont autre chose que nous-mêmes, instruites de la vérité par la lumière du Christ, ont brisé leurs idoles, les Juifs peuvent le voir de leurs propres yeux, les paroles qui suivent ont eu leur accomplissement : « Le Seigneur des armées enlèvera aux Juifs et à Jérusalem, entre autres choses, l'habile architecte, » qui bâtit l'église, temple de Dieu, et la cité sainte, et la maison du Seigneur. Dès ce moment, en effet, la grâce de Dieu cessa de couler chez eux. « Il a été ordonné aux nuées de ne plus répandre leur rosée sur la vigne de Sorech, » c'est-à-dire aux bienfaits célestes de ne plus enrichir la maison d'Israël. Pourquoi cela? « Parce qu'elle avait produit des épines » pour en couronner le Seigneur, et qu'au lieu de la justice, elle avait poussé les cris « de malédiction avec lesquels elle l'attacha à la croix. » Toutes les rosées des grâces précédentes ayant été ainsi retirées aux Juifs, « la loi et les prophètes ne subsistèrent que jusqu'à Jean. » La piscine de Bethsaïde, qui guérissait les infirmités d'Israël, jusqu'à l'avènement de Jésus-Christ, perdit sa vertu dès ce moment, parce que l'aveugle obstination de ce peuple est cause que le nom de Dieu est blasphémé par les Gentils, ainsi qu'il est écrit : « C'est à cause de vous que les nations blasphèment le nom de Dieu. » C'est à eux en effet que commence cette infamie, et le temps intermédiaire qui s'écoula de |46 Tibère à Vespasien. Ainsi, en punition de ces crimes, « et pour n'avoir pas voulu reconnaître le Christ au temps où il les visita, leur terre est devenue déserte, leurs villes ont été la proie des flammes, les étrangers dévorent leur patrie jusque sous leurs veux. La fille de Sion a été abandonnée comme la hutte après la saison des vendanges, comme une cabane dans un champ de concombres. Depuis quand! Depuis qu'Israël n'a point connu le Seigneur; depuis qu'il a été sans intelligence, qu'il a répudié son maître, et irrité la colère du Dieu, fort. »

De même, que prouve encore cette menace conditionnelle, « Si, indociles et rebelles, vous refusez de m'écouler, le glaive vous dévorera, » sinon que le Christ est venu » et qu'ils ont péri pour n'avoir pas écouté le Christ? N'est-ce pas lui qui, dans le psaume, demande à son Père la dispersion de ce peuple? « Détruisez-les, détruisez-les dans votre puissance! » N'est-ce pas lui encore qui appelle la ruine sur leurs têtes par la bouche d'Isaïe? « Vous avez souffert ces maux pour moi : vous dormirez dans l'angoisse. »

Puisqu'il était prédit, d'une part, que les Juifs seraient dispersés et détruits, à cause de Jésus-Christ; et que, de l'autre, nous voyons leur ruine et leur dispersion consommées sous nos yeux, il est manifeste que les Juifs ont subi ces désastres à cause de Jésus-Christ. Ici tout est d'accord; le sens des Ecritures, les faits et l'ordre des temps, Ou bien, s'il est vrai que Jésus-Christ, à cause duquel la prophétie leur annonçait ces calamités, n'est pas encore venu, ils les subiront donc à son avènement? Mais où prendre cette fille de Sion, qui doit être abandonnée, puisque la fille de Sion n'existe plus aujourd'hui? Où sont ces villes qui doivent être livrées aux flammes, puisqu'elles sont déjà descendues dans le tombeau? Où est celte nation à disperser, puisqu'elle est déjà errante sur toute la terre? Rendez donc à là Judée un empire que puisse |47 trouver Jésus-Christ, avant d'affirmer qu'il viendra un autre Jésus-Christ.

XIV. Apprenez maintenant, comme par surcroît, quel est le principe de votre erreur. Les prophètes ont décrit sous de doubles images le double avènement de Jésus-Christ. Le premier devait se manifester au milieu des abaissements de toute nature. «Il sera conduit à la mort comme une brebis; il sera muet comme l'agneau sous la main de celui qui le tond. Son aspect est méprisable. Il se lèvera en la présence de Dieu comme un arbrisseau, comme un rejeton qui sort d'une terre aride. Il n'a ni éclat, ni beauté. Nous l'avons vu; il était méconnaissable, méprisé, le dernier des hommes, homme de douleurs, familiarisé avec la misère; son visage était obscurci par les opprobres et les ignominies. Son Père l'a établi comme une pierre de chute et de scandale. Il l'a placé pour un peu de temps au-dessous des anges. ---- Pour moi, dit-il, je suis un ver de terre et non pas un homme. Je suis le rebut des mortels et le jouet de la populace. »

Ces marques d'ignominie appartiennent à son premier avènement, tandis que la grandeur et la majesté caractérisent le second. Alors il ne sera plus la pierre de chute et de scandale, il deviendra la principale pierre de l'édifice, «la pierre angulaire, réprouvée autrefois,» et placée sur le couronnement du temple, « ou bien cette pierre qui, en se détachant de la montagne, dans le prophète Daniel, frappe et brise » la grandeur éphémère des empires de ce monde. Ecoutons encore le même prophète sur ce second avènement! « Et voici comme le Fils de l'homme qui venait sur les nuées du ciel. Et il s'avança jusqu'à l'Ancien des jours, et il fut en sa présence, et ceux qui le servaient l'avaient conduit jusqu'à son trône. Et il lui donna la puissance, l'honneur et le royaume. Toutes les nations, toutes les langues, toutes les tribus lui seront soumises. Sa puissance est une puissance |48 éternelle qui ne sera pas transférée, et son royaume n'aura point de déclin. » Alors son visage resplendira. Sa beauté impérissable ne connaîtra point de rivale parmi les enfants des hommes. Car il est dit : « Vous surpassez en éclat les plus beaux des enfants des hommes. La grâce est répandue sur vos lèvres, parce que le Seigneur vous a béni pour l'éternité. Levez-vous donc, armez-vous de votre glaive, ô le plus vaillant des Rois! Revêtez-vous de votre beauté et de votre splendeur! Voilà que votre Père, après vous avoir abaissé un moment au-dessous des anges, vous couronne d'honneur et de majesté. Il vous donne l'empire sur les œuvres de ses mains. Alors ils connaîtront celui qu'ils ont percé, et les tribus pleureront amèrement sur lui en se frappant la poitrine. » Pourquoi ces pleurs et ces lamentations? Parce qu'ils n'ont pas su le reconnaître dans les humiliations de sa vie humaine. « C'est un homme, s'écrie Jérémie; qui le connaîtra?---- C'est un Dieu, répond Isaïe; qui racontera son éternelle génération? » Ainsi encore, Zacharie nous retrace dans la personne de Jésus, et jusque dans le mystère de ce nom auguste, le double avènement de Jésus-Christ, véritable et suprême pontife du Père. En premier lieu, il est revêtu de haillons, qu'est-ce à dire? d'une chair passible et mortelle, lorsqu'il lutte contre le démon qui le lente après son baptême, et souffle la trahison au cœur de Judas. En second lieu, il est dépouillé de ses premières humiliations, qui sont comme des vêtements immondes, pour revêtir la robe éclatante et la tiare pure, c'est-à-dire la gloire et la majesté du second avènement.

Qu'il s'agisse du fils de Josédech, vous ne pourriez le soutenir, puisque celui-ci, au lieu d'avoir jamais revêtu des habits impurs, fut toujours orné de la robe et de la dignité sacerdotale qu'il ne perdit jamais. Oui, c'est bien là ce Jésus-Christ, pontife suprême de Dieu le Père, qui s'est fait victime pour nous à travers tous les abaissements, |49 et qui, revêtu de la robe éclatante après sa résurrection, a été nommé le pontife éternel de Dieu le Père.

Parlerai-je des deux boucs offerts par la loi mosaïque dans le jeûne public? Ne représentent-ils pas aussi le double aspect du Christ? Oui, je retrouve sous le symbole de ces deux animaux, semblables l'un à l'autre, ce même Seigneur qui doit redescendre sous la forme qu'il avait ici-bas, afin de se faire reconnaître de ceux qui l'ont outragé. L'un des deux boucs, environné d'écarlate, chargé de malédictions, couvert d'ignominies, insulté, frappé, maltraité par tout le peuple, était chassé hors de la ville et envoyé à la mort, portant ainsi les caractères manifestes de la passion de notre Seigneur, qui, après avoir été revêtu d'écarlate, après avoir subi les opprobres et les malédictions de tous, fut crucifié hors de la ville. L'autre, au contraire, sacrifié pour les péchés, et ne servant de nourriture qu'aux prêtres du temple, me retrace le dernier des jours où, purifiés de toute souillure, les pontifes du temple spirituel, c'est-à-dire de l'Eglise, jouiront des grâces les plus intimes et les plus excellentes, tandis que les autres jeûneront loin des sources du salut. Plus de doutes! le premier avènement devait s'accomplir au milieu des abaissements et des outrages; les figures qui l'annonçaient étaient obscures. Le second, au contraire, est éclatant de lumière et digne d'un Dieu. Aussi, les Juifs n'eurent-ils qu'à lever les yeux pour reconnaître cette seconde apparition à l'éclat et à la dignité dont elle brille, tandis que les voiles et les infirmités de la première, indignes de la Divinité, assurément, durent tromper leurs regards. Aussi, affirment-ils, de nos jours encore, que leur Christ n'est pas venu, parce qu'ils ne l'ont pas vu paraître dans sa majesté, ne sachant pas qu'il devait se montrer d'abord dans les abaissements et l'humiliation.

Il suffit d'avoir ainsi rapidement parcouru ce qui concerne le Christ, en témoignage qu'il est venu tel qu'il était annoncé, pour que nous comprenions d'après cette |50 merveilleuse concordance des divines Ecritures, que les événements annoncés par la prédiction comme devant s'accomplir après Jésus-Christ, se sont accomplis conformément aux dispositions divines. En effet, si celui, après lequel ces événements devaient s'accomplir, n'était pas venu, jamais ceux qui étaient annoncés pour sa venue n'auraient eu leur consommation. Lors donc que vous voyez toutes les nations sortir du gouffre de l'erreur humaine pour marcher à Dieu le créateur et à son Christ, vous n'osez pas nier que cette merveille ait été prédite.

Si vous l'osiez, je vous opposerais sur-le-champ, comme je l'ai déjà fait, cette promesse du Père : « Tu es mon fils; je t'ai engendré aujourd'hui; demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour empire les extrémités de la terre. » Que cette prédiction s'adresse à Salomon, fils de David, plutôt qu'à Jésus-Christ, fils de Dieu, vous ne pourriez pas davantage le soutenir. L'empire de la terre n'a point été promis au fils de David. Salomon ne régna jamais que dans la Judée. Il n'en va point de même du Fils de Dieu : il a éclairé tout l'univers des rayons de son Evangile. « Son trône est éternel, » disent les livres saints. L'éternité convient-elle au Fils de Dieu ou à Salomon, roi d'un jour et qui ne régna que sur Israël? En effet, les nations qui ne connaissaient pas Jésus-Christ, l'invoquent aujourd'hui; les peuples marchent vers Jésus-Christ qu'ils ignoraient autrefois! Tu ne peux en appeler à l'avenir, quand tu vois l'événement se réaliser sous tes yeux. Nie donc que ces événements aient été prédits, quoiqu'ils soient manifestes pour tous; ou qu'ils aient été accomplis, quoique nous les lisions dans les Ecritures : ou bien si tu ne peux nier ni l'un ni l'autre, il faut bien qu'ils se soient accomplis dans la personne de celui que désignaient les prophéties.


1. (1) Ce passage, cité par Tertullien, offre quelques différences avec la Vulgate.

2. (1) La chronologie de Tertullien est fautive dans quelques points, et diffère de celle des Evangélistes ainsi que de celle de saint Jérôme.


Previous PageTable Of ContentsNext Page

Traduit par E.-A. de Genoude, 1852.  Proposé par Roger Pearse, 2005.


This page has been online since 23rd August 2005.


Return to the Tertullian Project Autres traductions françaises About these pages